Le marché américain a fait un revirement à 180° cette année », annonce d’emblée, Greg Livengood, PDG de la société de courtage Ciatti, lors des Bulk Wine Talks organisés cette semaine par la World Bulk Wine Exhibition et animés par le journaliste britannique Robert Joseph. « Fin 2019, nous étions encore impactés par les excédents provoqués par la grosse récolte de 2018, aux Etats-Unis et dans le monde. Les ventes stagnaient, à la fois en vrac et au niveau du détail. Les « hard seltzers » et autres boisons alternatives, tout comme le cannabis, avaient le vent en poupe, et puis les taxes Trump sont arrivées. Notre principale préoccupation n’était pas de savoir comment le marché du vin pouvait croître, mais plutôt comment faire pour enrayer la baisse ». Un an plus tard, des récoltes moins abondantes, mais surtout la Covid-19 et les incendies en Californie ont complètement transformé la situation : « Les ventes de vins ont baissé chez les cavistes et les restaurants au profit des supermarchés. Les consommateurs ont recommencé à s’intéresser au vin, y compris en bag-in-box, et moins aux spiritueux et aux hard seltzers. Du point de vue des volumes, la situation s’est améliorée ». Résultat : les acheteurs américains de vins en vrac se sont rués sur les volumes restants des millésimes 2018 et 2019, notamment lorsqu’il est devenu évident que la production californienne en 2020 serait en retrait, et que l’impact du goût de fumée était encore difficile à évaluer. En un laps de temps très court, d’importants volumes ont été achetés, faisant grimper les prix, non seulement pour les vins issus des vignobles côtiers, mais également ceux de la vallée centrale. « Le marché du pinot noir était particulièrement déprimé en raison de l’étendue des nouvelles plantations au cours de la dernière décennie. Mais ce cépage a été très touché par le goût de fumée et beaucoup de raisins ne pourront pas être vinifiés cette année. Par conséquent, les prix sont passés de 3$ le litre à plus de 6$ ».
Ce phénomène ouvre de nouvelles perspectives pour ceux qui exportent vers les Etats-Unis, d’autant plus qu’il ne n’agit pas d’un phénomène passager, estime Greg Livengood. « Il est difficile de cultiver du pinot noir et du sauvignon blanc avec les profils gustatifs recherchés dans le sud de la vallée centrale. Il faut les cultiver plus au nord, mais là, les coûts de production les empêchent d’être compétitifs en entrée de gamme. C’est pour cela que les importations des deux cépages en provenance du Chili – que ce soit pour les bag-in-box, les cannettes ou les bouteilles de 1,5 litre – sont importantes. De plus, les viticulteurs ne veulent pas planter du sauvignon blanc parce que le retour sur investissement au niveau du foncier est plus intéressant avec le cabernet ». L’augmentation des tarifs en Californie, qui touche déjà le prix des raisins pour 2021, laisse envisager plus globalement des opportunités de développement pour les fournisseurs de marques ou de « private labels ». « Beaucoup d’opérations en « private label » portent sur des contrats annuels et non pluriannuels », précise le courtier américain. « Il s’agit souvent d’opérations de type appel d’offres, qui fonctionnent très bien lorsque les disponibilités de vin en vrac sont importantes. Or, cette année en Californie, beaucoup de vin a déjà été acheté et les prix sont montés en flèche. L’année dernière on était sur 3$ le litre, cette année on est plutôt aux alentours de 6$, ce qui est évidemment bien moins intéressant pour les distributeurs ».
Enfin, le grand changement en cette fin d’année porte bien évidemment sur l’élection présidentielle aux Etats-Unis et l’éventuelle levée des droits additionnels. Sur ce point, Greg Livengood est plutôt optimiste : « Je ne vois pas de nouveaux droits à l’horizon. A un moment donné, nous pensons qu’une manière plus favorable de régler les litiges commerciaux avec nos partenaires historiques en Europe et nos alliés émergera. A court terme, on ne voit pas arriver de nouveaux droits additionnels, mais à plus long terme, on verra un abaissement voire même la disparition de ces taxes, notamment pour les vins provenant de l’Europe ». D’ici là, comme le rappelait le courtier, « vous pouvez continuer à expédier des vins en vrac sans droits additionnels ! Ces derniers ont été favorables au vrac, mais il est vrai que pour les vins de Bourgogne ce n’était pas une bonne nouvelle ».