Chef Alain Fontaine
"Pas de commandes de vins par des restaurateurs avant le 15 juillet"

Le président de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs (AMFR, réunissant 3 200 membres) fait le point sur les conditions de réouverture des établissements de restauration : de l’impact économique du coronavirus à la mise en place de nouveaux partenariats entre vignerons et restaurateurs afin de relancer la consommation.
Les restaurants partent-ils toujours sur une réouverture ce début juin ?
Chef Alain Fontaine : Pour les zones vertes, la restauration table toujours sur le 2 juin. Pour les zones rouges, nous pensons que cela se fera aux alentours du 20 ou 30 juin, il n’y a aucune raison d’aller plus loin. En attendant que les dates soient confirmées, les mesures de distanciation physique à la réouverture restent problématiques. Nous pensions que nous appliquerions les mêmes règles qu’en Italie, avec une distance d’un mètre entre les tables. Mais la discussion achoppe [avec les pouvoirs publics] sur la mise en place de 4 mètres carrés autour de chaque personne dans le restaurant (client et personnel).
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Pour l’instant, nous en sommes sur ce blocage de protocole. Il est évident que certains restaurants ne pourraient pas rouvrir avec une distance d’un mètre entre chaque table. Ce serait impossible pour de nombreux établissements avec la limite des 4 mètres carrés. Cela fait craindre à certain une deuxième vague de faillites dans la restauration.
Peut-on chiffrer les dépôts de bilan liés à la fermeture administrative des restaurants ?
Les dépôts de bilan tombent déjà. La France compte 207 000 points de restaurations (y compris des sandwicheries, des fast-foods…), dont 92 000 proposant une commande et un service assis à table. Sur ces 92 000 restaurants, nous tablons sur 20 à 25 % de fermetures. Soit 18 à 23 000 dépôts de bilan. Mais la faillite ne veut pas dire que le restaurant est perdu. Tous les restaurants en faillite ne se transforment pas en agence bancaire ! Il y aura des reprises, mais pas tout de suite, cela va se faire dans la durée et être très lent.
Comment prévoyez-vous la relance de la restauration, et de la consommation de vin ?
Nous partons sur un scénario de reprise extrêmement calme. La réouverture sera estivale, il n’y aura pas de touristes dans les grandes villes et les habitants des centres urbains seront absents. Avec une reprise en mi-teinte au dernier trimestre, une bonne reprise est attendue en 2021 et le retour à la normale devrait avoir lieu en 2023, selon les plus pessimistes.
Concernant les vins, les vignerons doivent se rendre compte que nous allons d’abord consommer nos stocks. Ils n’ont pas bougé depuis le 15 mars. La restauration va repartir pendant un mois, un mois et demi avec ses stocks. Il ne faut pas attendre de commandes de vins par des restaurateurs avant le 15 juillet. Il y aura peu de restaurants répondant à l’appel avant.
Parmi ses demandes au gouvernement français, la filière vin souhaite une baisse de la TVA pour les boissons alcoolisées vendues en CHR. Est-ce une demande soutenue par la restauration ?
La profession est très divisée sur le sujet de la TVA. La précédente baisse n’a pas été répercutée par tous les restaurateurs, qui sont passés dans leur ensemble pour des Harpagon rangeant leur argent dans leur cassette enterrée au fond du jardin… Ceux qui ont répercuté la baisse de TVA en investissements et en augmentation de salaire ont ensuite subi une hausse qui en a fait les dindons de la farce (c’est mon propre cas). La restauration est très divisée sur le sujet.
Le développement des ventes à emporter et des livraisons à domicile permet-il de compenser la fermeture administrative des restaurants ?
Non, mais c’est une activité complémentaire qui est appelée à perdurer, avec le maintien des distanciations physiques et de la peur au ventre de certains consommateurs. Les ventes à emporter et les livraisons à domicile vont s’ancrer dans le paysage de la restauration. Les vignerons vont devoir se réinventer pour accompagner cette tendance, avec des bouteilles aux prix plus accessibles et à l’ouverture plus facile. La capsule à vis sera peut-être notre futur.
L’avenir sera également locavore, l’AFMR accueille [dans cette optique] des petits producteurs sélectionnés. Nous préparons sur notre application une carte des vins pour aider nos restaurateurs à choisir leurs fournisseurs. Les vignerons vont devoir être aux côtés des restaurateurs pour se réinventer. L’avenir est à la relation directe avec le client. Il faut que les vignerons sortent de leurs vignes pour venir en salle, comme les chefs sont sortis des cuisines il y a cinquante ans. On va avoir de plus en plus besoin de présenter celui qui est derrière le vin. C’est une vraie piste de développement. L’avenir n’est pas optimiste, mais il est inventif et constructif.