Serons-nous demain pépiniéristes ? Depuis plus de soixante ans, nous avons des agents [publics] qui viennent contrôler l’état sanitaire de nos vignes mères et pépinières. On apprend que ce partenariat doit s’achever [fin 2020] avec le transfert des contrôles sanitaires de FranceAgriMer à nos pépinières. Les responsabilités ne nous ont jamais fait peur, mais il faut du temps pour concerter une solution ! » rugit autant qu’il rougit de colère David Amblevert, le président de la Fédération Française de la Pépinière Viticole (FFPV, comptant 400 membres). Réuni en congrès ce 30 octobre à Cognac, l’auditoire de pépiniéristes soutient de ses applaudissements ce coup gueule virulent, ayant oscillé toute la journée entre stupéfaction et exaspération face aux bouleversements réglementaires annoncés.
Cette émotion vient du règlement UE 2016/2031 relatif à la santé des végétaux qui va s’appliquer progressivement à la filière de la pépinière viticole. Dès le 14 décembre 2019, cette directive conduit à la mise en place d’un Passeport Phytosanitaire Européen (PPE, restant quasi-identique, voir photo ci-dessous), avant l’ouverture d’un registre officiel des opérateurs professionnels (pour les 900 pépiniéristes viticoles professionnels français). Si ces évolutions sont somme toute mineures pour la filière viticole, il n’en est pas de même pour le nouveau statut d’Opérateur Professionnel Autorisé à délivrer son PPE (OPA). En vigueur dès le 14 décembre 2020, ce titre officiel va devenir obligatoire pour mettre en circulation : changement de compétence et transfert de responsabilité.
Responsabilité croissante
« Avec cette réécriture de la directive européenne sur la santé des végétaux, le producteur du végétal devient responsable de son matériel à la place des organismes certificateurs nationaux. Et la liste des pathogènes à suivre augmente avec la liste des Organismes Réglementés et Non de Quarantaine (ORNQ*) » résume Pierre-Marie Guillaume, le secrétaire adjoint du Comité International de la Pépinière (CIP). Qui regrette une chose : « il est dommage que les Italiens travaillent depuis trois ans sur un sujet que nous avons découvert il y a trois mois… »


L’application de cette directive semble en effet prendre autant de court la filière que son administration, FranceAgriMer. Alors que les textes communautaires ne sont pas encore finalisés, le cahier des charges français de ce transfert de contrôles n’est pas disponible. « Nous cherchons des voies de simplification. Notre objectif n’est pas de créer une usine à gaz. Cela ne veut pas dire que cela sera limpide, mais le plus simple dans la mesure du possible » essaie de rassurer Pascale Demet, la chef des services de contrôles et de normalisation de FranceAgriMer. « On ne part pas de rien dans la filière des bois et plants de vigne. Les changements seront plus ou moins conséquents selon les opérateurs [NDLA : et leur taille] » souligne Pascale Demet.
« On ne connaît pas le contenu du cahier des charges, mais on sait déjà quelle sera sa conséquence : une partie des contrôles seront transférées de FranceAgriMer aux pépinières. Et beaucoup de petits producteurs n’ont pas la taille pour répondre à ces nouvelles exigences » alerte Giovanni Varelli, le président de la marque Vitipeps. Qui souligne que cette démarche collective répond déjà à la majorité des exigences de la directive européennes, à part le contrôle en pépinière. Vitipeps pourrait être une solution collective permettant de mutualiser les coûts et les recrutements d’experts. Mais pour cela, « il faut que FranceAgriMer valide une possibilité de contrôle collectif pour remplacer le contrôle individuel des entreprises » demande le pépiniériste du Vaucluse.


Alors que la directive européenne demande des obligations de résultat, « les conditions sanitaires du vignoble français sont excellentes. Il s’agit de maintenir cette qualité, mais il n’y a pas de crise » note Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, le directeur général de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV). « On a une offre sanitaire reconnue, le meilleur témoignage est le regain d’activité export alors que l’import diminue » renchérit Miguel Mercier, l’expert export de la FFPV. Pour la pépinière française, l’enjeu est d’obtenir la reconnaissance par l’administration de son savoir-faire pour faciliter la transition.
Face à ces enjeux, les représentants de la viticulture ont affirmé leur soutien à la pépinière. « Nous pouvons comprendre le souhait gouvernemental d’alléger les équipes des administrations françaises. Mais s’il est imaginé de le faire en transférant la charge de travail aux professionnels sans en laisser le temps et les moyens, cela revient à vous demander de financer une partie du déficit de la France » tacle ainsi Jean-Bernard de Larquier, le vice-président du Comité National des Interprofessions des Vins (CNIV). « Sans la prémultplication et les pépinière, rien n’existe dans le vignoble. Les pépiniéristes ne s’en sortiront pas si on ne leur laisse pas le temps de s’adapter. Avec la réforme de l’INAO, la viticulture a aussi connu ce type de transfert de contrôles » ajoute le viticulteur charentais, qui ne veut pas voir disparaître la moindre pépinière alors que le vignoble de Cognac est en pleine expansion.


« Bâtir en 2020 : oui. Transférer les contrôles en 2020 : non ! » résume David Amblevert qui demande un dispositif collectif simplifié et pas 900 contrôles individuels dans chaque pépinière. « Ce n’est pas un non catégorique, j’interpelle le ministère de l’Agriculture pour que l’on ait le cahier des charges de ce transfert de contrôle afin de bâtir des échéances » conclut le pépiniériste bordelais, regrettant l’absence d’un représentant du ministère de l’Agriculture (empêché par une grève ferroviaire) et acceptant l’invitation à des discussions avec la direction de FranceAgriMer (qui a déjà modifié ses demandes, comme le retrait du QCM pour vérifier les acquis des pépinièristes).
* : Parmi ces Organismes Réglementés et Non de Quarantaine (ORNQ), on trouve par exemple le phylloxera. Dont la présence doit être égale à 0 % : une impossibilité technique soulignent les pépiniéristes, alors que l’insecte est présent dans la nature et qu’il n’existe plus de produits de lutte contre lui.
Pour le 17e congrès des pépiniéristes, FranceAgriMer proposait un subtil jeu des 7 erreurs.