emps changeant, passant de l’été ensoleillé à l’automne pluvieux sur le vignoble bordelais pour lancer les vendanges de raisins rouges. Tempête agitée à très agitée sous les crânes des responsables de la filière girondine pour en calibrer les rendements et espérer maintenir les cours. Si en apparence les plafonds de productions actuellement envisagés pour le millésime 2019 sont globalement identiques à ceux de 2018, les réflexions sont bouillonnantes entre vignerons et négociants dans les coulisses.
« Il est normal en situation de crise d’avoir des propositions différentes de celles habituelles. Là le front est radicalement inversé entre le vignoble et le négoce » résume, pince sans rire, un vigneron bordelais. D’après les informations de Vitisphere, certains rendements 2019 proposés par la viticulture (portées par la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, FGVB), n’ont pas été validés cette fin d’été par les négociants (réunis au sein de la Fédération des Négociants de Bordeaux et Libourne, Bordeaux Négoce), un manque d’accord causant une absence d’avis de l’interprofession (le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, CIVB). Ce qui n’a pas empêché la validation de ces premières propositions, ce mois de septembre (au sein de comités de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité, l’INAO).
Si la FGVB, Bordeaux Négoce et le CIVB ne souhaitent pas commenter le sujet, des sources concordantes rapportent que le négoce proposait de baisser les rendements des appellations Bordeaux, Côtes de Bordeaux et Médoc. Les metteurs en marché les considérant trop élevés par rapport à leurs capacités actuelles de commercialisations. Ce débat économique est amené à continuer, les rendements autorisés et les Volumes Complémentaires Individuels (VCI) devant être réajustés à la fin des vendanges, selon la réalité agronomique, pour être définitivement validés courant novembre par l’INAO.


Mises en ligne sur le site de la FGVB, les propositions de rendements font déjà râler dans le vignoble. « Il n’est pas cohérent d’avoir des rendements plus restrictifs en AOC Bordeaux Supérieur ou Côte de Bordeaux [NDLA : 48 et 55 hl/ha, similaires à l’an passé] qu’en appellation de grands crus classés [57 hl/ha dans les communales médocaines] ! » s’exaspère ainsi un vigneron de la rive droite. Un ressenti à tempérer souligne un élu de la FGVB, « les rendements autorisés sont des plafonds très relatifs par rapport à ceux constatés… De mémoire, ces niveaux n’ont jamais été atteints dans les communales. » Ce vigneron de la rive gauche reconnaissant « une vraie détresse dans la filière. Alors qu’il y a un manque de vision et de perspective dans les instances. C’est terrible, on aimerait tous produire plus pour des raisons financières, mais l’écueil est commercial. »
Mis à mal par la baisse globale de leurs commercialisations en France et à l’export, les vins de Bordeaux voient leur offre se désorganiser, tous ses opérateurs cherchant de la trésorerie. Dans ce contexte explosif, les organisations professionnelles cherchent des solutions pour maintenir les cours, qui affichent une nouvelle tendance baissière cette rentrée. D’après les relevés des courtiers bordelais, le prix moyen du bordeaux rouge 2018 est tombé à 1 041 euros/tonneau du 9 au 13 septembre (avec 33 transactions pour 8 793 hectolitres). Cette cotation note que si 39 % des volumes ont été négociés au-dessus de 1 200 €/tonneau, autant ont été vendus en dessous 900 €/tonneau*. Alors que des vins de la récolte 2018 pèsent encore sur les chais, cette tendance confirme les inquiétudes qui secouent la filière girondine.


Dans cette situation de crise, « il n’y pas de tensions entre les familles du négoce et du vignoble. Nous sommes tous dans une réflexion stratégique pour trouver les bons leviers. Cela peut passer les rendements, mais aussi l’accentuation de la promotion… » note un courtier bordelais. Une autre solution est actuellement à l’étude : la réserve interprofessionnelle, qui permettrait de bloquer temporairement des vins pour alléger le marché. « L’idée de la réserve interprofessionnelle est mise sur la table, pour ne pas être passif. Mais rien n’est décidé, le niveau de récolte va conditionner sa pertinence » explique un élu de la FGVB. Les tempêtes sous les crânes devraient encore durer cette fin d’année, été indien ou pas.
* : Ayant frappé les esprits lors de la dernière campagne, les transactions de vins en vrac en dessous de 1 000 €/tonneau n’ont compté que pour 3 % des volumes de Bordeaux 2018 enregistrés par le CIVB. Le prix moyen se fixant à 1 261 €/tonneau sur les douze mois d’échanges (avec 546 762 hectolitres). Mais cette part a cru sur les trois derniers mois de la campagne, montant à 13 % des transactions enregistrées (pour 130 812 hl).