Avec la réselle
Les pépinières Mercier mettent un pied dans les cépages résistants

Le premier producteur français de plants de vigne a obtenu le titre de sélectionneur de vigne, lui permettant d'envisager la diffusion de nouvelles variétés résistantes. À commencer par la réselle, soutenue avec force par le vigneron languedocien Vincent Pugibet.
Lentement, mais sûrement, les pépinières Mercier se positionnent comme un futur acteur de la sélection, de la prémultiplication et de la diffusion de nouveaux cépages résistants au mildiou et à l’oïdium. Cette arrivée du premier pépiniériste français (commercialisant 15 millions de plants par an) ouvrirait le champ de l’offre aux vignerons français, qui sont actuellement limités aux obtentions françaises Résistance Durable (ResDur) de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et aux variétés issues d’Allemagne et d’Italie qui ont été classés en France. Encore balbutiante, la diffusion de cépages résistants aux maladies cryptogamiques dans le vignoble français suscite un intérêt proprement intarissable.
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En témoigne, lors du dernier salon Vinitech, le succès des échantillons mis à la dégustation par les pépinières Mercier. Que ce soit la rupture de stock pour les vins de cépages résistants allemands, muscaris et souvignier gris, ou l’intérêt pour une variété suisse précoce et issue d’un croisement sauvignonxriesling, connue sous le nom de code le cal 06 04, et baptisé réselle. « S’il y avait eu des bouteilles disponibles, on aurait proposé les vins des cépages ResDur 1 (Artaban, Floréal, Vidocq et Voltis) » précise Olivier Zekri, le responsable R&D de Mercier. Qui lève d’emblée tout malentendu avec l’arrivée d’un opérateur privé sur un terrain quadrillé par la recherche publique : « on ne s’oppose pas à l’INRA. Au contraire, on devient une force de proposition complémentaire. »
Pour développer sa propre gamme de cépages résistants, les établissements Merciers sont officiellement devenus en 2018 un organisme de sélection pour les plants de vignes. « Nous ne ferons pas de création dans un premier temps, mais allons établir des partenariats avec des hybrideurs du monde entier. Nous créons une sélection privée » résume Olivier Zekri. Cette initiative s’inscrit forcément dans un pas de temps large, ne serait-ce que pour suivre, voire défricher, les modalités et délais français d’inscription et de classement d’une variété. Comme le montre l’exemple frappant du Cal 06 04/réselle. Cet été 2018, les pépinières Mercier ont signé un contrat de partenariat avec l’obtenteur Valentin Blattner pour avoir l’exclusivité de mise en marché de ce cépage blanc.
À l’heure actuelle, la réselle est loin d’être commercialisable. Ce qui ne devrait pas évoluer avant la fin de l’année prochaine au moins. Mainteneur de la variété suisse, le vigneron languedocien Vincent Pugibet (domaine de la Colombette, à Béziers) en porte depuis 2013 la demande d’inscription au catalogue en liste A1 et au classement en raisin de cuve. Étant le seul dossier privé traité par la section vigne du Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS), le bouillonnant expérimentateur s’impatiente des délais et retards administratifs des études de Distinction, Homogénéité et Stabilité (DHS) et de Valeur Agronomique Technologique et Environnementale (VATE).
Exaspéré par le temps de traitement de sa demande, Vincent Pugibet remet en cause l’impartialité des organismes en charge de l’évaluation des cépages (qui s’en défendent, voir encadré). Pour Vincent Pugibet, la réselle a autant fait ses preuves, si ce n’est plus, que les variétés ResDur 1. Comme en témoignent les essais réalisés dans son domaine biterrois (ainsi qu’à Bordeaux dans les vignobles Ducourt* et le château Chasse Spleen), la réselle montre au vignoble des résistances intéressantes au mildiou, à l’oïdium et même au black-rot (en comparaison au sauvignon blanc). Sans oublier des parcelles présentes en Allemagne (« plusieurs centaines d’hectares »), des médailles obtenues en concours… Et les dégustations organisées par Mercier, qui témoignent d’un vif intérêt, pour ne pas dire impatience, viticole.
« Pour les cépages résistants, on avance à un rythme français, pas pressé… On laisse les concurrents s’installer » regrette Jacques Gravegeal, le président de l’interprofession des vins de Pays d’Oc IGP, qui milite pour une diffusion accélérée de ces nouveaux cépages. Le vigneron languedocien estime qu’en l’état, le processus français de classement n’a aucune « considération économique pour les entreprises ou leur compétitivité. Ce sont les ego de chercheurs et des enjeux économiques d’obtenteurs qui priment. Nous sommes en retards, comme pour les copeaux à l’époque… »
Sans être un chamboule-tout, l’arrivée d’un nouveau sélectionneur comme Mercier devrait fluidifier les procédures. Ne serait-ce qu’en diversifiant l’offre et en l’ouvrant à une nouvelle forme de concurrence. À la recherche de cépages résistants à l’échelle internationale, Olivier Zekri souligne que les pépinières Mercier se comporteront comme un ayant droit, n’ayant pas vocation à fournir tout le vignoble, mais ouvrant sa sélection à d’autres pour la diffuser. Un positionnement à pas compté, mais millimétré pour compter dans un avenir sous le signe des cépages résistants.
* : Ayant planté du cabernet jura (1,7 hectare), du muscaris (3 ha), du souvignier gris (3 ha) et de la réselle (1,6 ha), le vigneron Jérémy Ducourt souligne que « la réselle présente la meilleure résistance. Et ce malgré la pression mildiou que l’on a connu en 2018 ». En témoigne un rendement de 70 hl/ha ce millésime. L’expérimentateur est impatient de voir la réselle classée pour l'expérimenter en AOC (dans le cadre des cépages à fin d’adaptation).
Aussi rebelle à l’administration que résistant à toute ingérence dans son désir d’entreprendre, Vincent Pugibet estime qu’il y a trop de déférence et de précaution dans le système français de classement et d’inscription. Pour lui, « ce n’est pas extraordinaire de changer l’encépagement. Mon grand-père a transmis un vignoble d’aramon et de carignan, mon père m’a légué des parcelles de grenache et de chardonnay, moi je plante des cépages résistants… » Dans le cas de la réselle, le vigneron se plaint ainsi d’un flou dans le protocole et de délais retardés : « nous avons le sentiment que des variétés ont des passe-droits. Comme les Resdur2 qui annoncent déjà leur assurance d’être inscrits… »
Face à « des perceptions personnelles », Laurent Mayoux, le secrétaire technique de la section vigne du CTPS rétorque que « toutes les règles des règlements techniques ont été respectées dans le déroulement des choses ». L’expert précise qu’« il faut trois ans observations pour des essais VATE. Avec une visite du comité d’experts avant la quatrième vendange, que l’on couple avec la dégustation des trois millésimes. La commission d’experts rend son examen, la section vin de FranceAgriMer (FAM) donne un avis au Ministère de l’Agriculture qui tranche. » Laurent Mayoux ajoutant que la réselle suit le même processus que dans le cas de Resdur1. Les plantations expérimentales des cépages de l’INRA ayant commencé en 2011-2012 sur 5 sites, avec des mesures réalisées en 2014-2016. La commission a fait sa visite et sa dégustation en août 2017, avant de finaliser son examen fin 2017, l’arrêté ayant été pris cet été 2018.
Des éléments qui n’apaisent pas Vincent Pugibet, pour qui les membres du CTPS sont trop liés au milieu de la recherche variétale, et de leur diffusion, pour être pleinement indépendants : « est-ce que l’on accepte en France que ce soit Renault qui donne l’agrément de vente à Fiat ? » conclut-il.