ntre les colonnes d’airain du temple des appellations qu’est l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO), la question n’était pas une mince affaire : face aux défis d’avenir, « comment peut-on accompagner l’évolution de l’encépagement des AOC sans passer par le carcan d’une évaluation purement scientifique ? » résume Philippe Brisebarre, le vice-président du comité national vin AOC. Rendant les conclusions de son groupe de travail, le vigneron de Vouvray a proposé une réponse pour le moins innovante, voire iconoclaste dans le temple des AOC : permettre la R&D sur le terrain et créer la catégorie des « cépages d’intérêt à fin d’adoption ».
Adoptée à l’unanimité ce 6 septembre par le comité national AOC, une directive ouvre aux syndicats viticoles la possibilité d’inscrire dans leurs cahiers des charges des cépages qui pourraient répondre à des enjeux d’adaptation au changement climatique, de réduction des intrants viticoles ou de réintroduction de variétés oubliées/modestes. Dans la limite de 5 % de leur encépagement et de 10 % de leur assemblage, les vignerons pourront planter des cépages qui n’étaient pas dans le cahier des charges tout en revendiquant l’AOC. Qu’ils aient la fibre expérimentatrice ou conservatrice, les viticulteurs ne doivent pas s’emballer : « ce ne sera pas l’open bar ! » lance Philippe Brisebarre (lire l'encadré).


Tout juste validé par l’INAO, ce dispositif éveille déjà l’intérêt dans le vignoble français. Comme Éric Pastorino, le président de l’ODG Côtes de Provence, qui salue « une très bonne initiative, qui va permettre aux vignerons de piocher dans une liste de cépages fixée par l’ODG pour expérimenter dans l’AOC. Il était de plus en plus difficile de trouver les passionnés à bien vouloir essayer de nouveaux cépages sans les revendiquer… Et perdre du revenu. » Si le syndicat viticole provençal va évoquer le sujet lors de sa commission technique d’octobre pour répondre aux enjeux de sécheresse, il semble que les réflexions les plus avancées se trouvent à Bordeaux.
La possibilité « de cultiver et revendiquer en AOC d’autres cépages que ceux autorisés dans le cahier des charges (à hauteur de 5 % de la surface totale de l’exploitation et de 10 % de l’assemblage final) » a été adoptée en 2017 par les syndicats d’AOC Bordeaux et Bordeaux Supérieur, Côtes de Bordeaux et Graves. Attendu avec intérêt, « ce dispositif donne de la souplesse pour une différenciation commerciale* des domaines ou l’anticipation de contraintes, le tout dans proportions où les vins gardent leurs typicités » souligne Mayeul L’Huillier, le directeur de l’ODG Graves, qui se donne le temps d'étudier l'outil. « Sans remplacer le processus d’expérimentation, c’est une possibilité d’imaginer le futur des AOC avec des cépages différents pour s’adapter au changement climatique et à la réduction des intrants » renchérit Bernard Farges, le président des Bordeaux et Bordeaux Supérieur, qui compte rapidement intégrer l'outil à son cahier des charges.
À noter que si « les cépages d’intérêt à fin d’adoption » comptent répondre au défi de la réduction des traitements phytosanitaires, les nouvelles variétés résistantes aux maladies cryptogamiques (mildiou et oïdium) ne peuvent en l’état s’y intégrer. La Commission Européenne n’ayant pas (encore) levé l’interdiction pour les AOC de planter des vignes hybrides (n’étant pas à 100 % Vitis vinifera). Un autre débat continue avec les gardiens d’un autre temple.
* : Les étiquettes des vins réalisés avec ces « cépages d’intérêt à fin d’adoption » ne pourront cependant les nommer sur leurs étiquettes, leur proportion se trouvant en deçà du plancher légal de 15 %.
Pour ne pas dénaturer la typicité des appellations et responsabiliser les demandeurs, l’INAO a mis en place de nombreux garde-fous à ce dispositif. Ces « cépages d’intérêt à fin d’adoption » ne pourront être choisis que dans une liste fixée pour chaque Organisme de Défense et de Gestion (ODG). Étudiée au cas par cas, chaque demande devra être limitée à une dizaine de cépages par couleur.
Les ODG devront justifier dans leurs demandes la possibilité pour chaque cépage retenu de répondre à un enjeu précis pour l’appellation. Ces arguments devant s’appuyer sur des données ampélographiques et historiques disponibles (les cépages devant être inscrits définitivement au Catalogue Officiel des Variétés de Vigne). À noter que sont exclus de ce dispositif les cépages emblématiques d’une autre région. Il ne pourra ainsi pas y avoir de pinot noir en AOC Côte-Rôtie, de chenin blanc en AOC Monbazillac…
Autre limite fixée au dispositif, les vignerons souhaitant revendiquer un tel cépage en AOC doivent signer une convention de dix ans avec l’INAO et l’ODG. Ne pouvant être renouvelé qu’une fois, cette période limite dans le temps le statut de « cépage d’intérêt à fin d’adoption ». À l’issue de cette durée, « le cépage devra soit être intégré dans l’AOC par la procédure classique (pour rentrer au cahier des charges), soit être retiré, et ne plus pouvoir bénéficier de l’appellation. C’est un risque qui devra être calculé par les vignerons » pointe Philippe Brisebarre.