’est un euphémisme : l’attaque de l’association Alerte aux toxiques ! contre une cuvée du viticulteur girondin Bernard Farges, le président du syndicat de l’AOC Bordeaux et de la Confédération Nationale des producteurs de vins AOC, a marqué les esprits. Et l’article de Vitisphere sur le sujet les a carrément enflammés. « Attaquer un élu d'un collectif en s'en prenant à son outil de travail personnel est une confusion des genres qui me déconcerte, et que je ne peux pas comprendre » accuse ainsi un célèbre négociant rhodanien, estimant qu’il s’agissait d’une agression personnelle, concoctée par la rédaction de Vitisphere contre Bernard Farges.
Ayant cherché à donner équitablement la parole aux parties en présence, l’auteur de ces lignes n’a souhaité que donner l’ensemble des informations permettant de comprendre le débat qui a fait rage (jusqu’à son dénouement apaisé). Dans l’article original, il manquait cependant une explication détaillée à la liste de résidus citée. La voici.
Il faut d’abord poser que la cuvée de 2014 en question respecte la réglementation européenne en vigueur, et ne peut chronologiquement être opposée à la volonté de sortie des produits Cancérigènes, Mutagènes et Reprotoxiques annoncée par Bernard Farges en 2017. Il faut ensuite rappeler que dans la norme européenne, il n’existe pas de Limite Maximale de Résidus de pesticides (LMR) pour les produits transformés. Et donc pour les vins (une lacune réglementaire que Bernard Farges demande d’ailleurs de combler). Mais comme il existe des LMR pour les raisins de cuves (distincts des raisins de tables), cette norme est actuellement utilisée par les laboratoires d’analyse comme référence (les taux de transferts dans les vins de ces molécules étant estimés entre 10 et 50 %, les LMR seraient réduites d’autant). D’après les analyses en question, les résidus du vin de Bernard Farges se trouvent 25 à 5 450 fois en dessous des LMR pour raisins de cuve.
« Les niveaux de cette analyse sont très bas. La plupart des molécules se retrouvent à des concentrations bien inférieures à 0,3 % de leur LMR » analyse Stéphanie Prabonnaud, œnologue au laboratoire languedocien Natoli. Ajoutant qu’« il est évident qu'avec les progrès de sensibilité des méthodes d'analyse, on pourra détecter des valeurs toujours plus faibles des molécules recherchées. Faut-il pour autant amplifier la peur liée à ces molécules ? Le débat reste ouvert, mais il est important de replacer ce type d'analyse dans un contexte réglementaire; aujourd'hui ce sont les LMR raisins européennes qui font foi. »


En quantité, le plus important résidu est le phtalimide, un produit de la dégradation du folpel. Il se trouve lui-même à 4 % de la LMR du raisin de cuve de cet anti-mildiou. Les autres concentrations les plus élevées correspondant logiquement à des anti-Botrytis*, ces produits visant les raisins à une date plus rapprochée de la récolte. « Il y a de nombreux résidus dans ce vin, à des doses faibles et largement en dessous des LMR raisin. Il y a sans doute moyen de faire mieux, mais il faudrait pour cela comparer plusieurs millésimes, et noter que 2014 a été un millésime particulièrement humide » pondère Sylvie Biau, la directrice du service analytique de Sovivins (Martillac, Gironde). Qui souligne que « le vignoble bordelais a engagé un effort notable de réduction de l’utilisation des phytos. Il ne faut pas s’essouffler, il en va de la protection des applicateurs et de l’environnement. Il faut encourager les producteurs, pas créer des polémiques. »
* : Par familles, il s’agit d’anti-mildiou (ametoctradine, benthiavalicarb-isopropyl, dimethomorphe, phtalimide, d’iprovalicarbe, mandipropamide et benalaxyl), d’anti-botrytis (cyprodinil, fenhexamide, fludioxonil, iprodione, pyrimethanil et carbendazime), d’anti-oïdium (boscalide, fluopyram et tebuconazole) et d’un insecticide (chlorantraniliprole). « La présence de soufre étonne. Elle ne peut pas être d’origine viticole, son taux de transfert du raisin au vin étant nulle (la paroi des levures l’absorbant). Il doit s’agir d’une contamination en caves, par une pompe » analyse Stéphanie Prabonnaud.