out en retenue, le vignoble bordelais se rend petit à petit compte que la commercialisation de ses vins blancs tient de la machine infernale cette campagne 2016-2017. D’autant plus que le négoce semble patiemment jouer la montre. « On a une petite inquiétude… Les signaux ne sont pas bons » glisse Hervé Grandeau, le président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux. « On a l’impression qu’il y a du volume à la propriété, mais de sollicitation de la grande distribution ou de l’export à ce jour » ajoute Philippe Hébrard, le directeur général de la cave coopérative de Rauzan. « Mais on a l’impression que les cours se tiennent et la campagne n’est pas finie » glisse-t-il, comme pour se rassurer malgré tout.
Cette incertitude se nourrit d’un paradoxe épineux : bénéficiant d’une offre généreuse, après un cycle de petites vendanges bordelaises et surtout avec une petite production nationale, le vignoble girondin ne voit pas arriver la demande du négoce. Et les signaux initialement au vert virent au rouge. Au début avril, les volumes sont en retard sur la campagne, avec 116 200 hectolitres
contractualisés selon l’interprofession, soit un repli de 11 %, alors que la production affiche une hausse de 16 % (à 355 000 hl). Désormais, les cours commencent à s’infléchir, avec un prix moyen de 1 182 euros le tonneau (-2 %).
Ce marasme est problématique diagnostique Xavier Coumau, le président du Syndicat Régional des Courtiers de Bordeaux. « Il y a de l’attentisme. Les cours ne s’effondrent pas, mais on voit les premières ventes à moins de 1 000 euros le tonneau, ce qui ne s’était plus vu depuis longtemps. » note l’expert, expliquant que « comme les producteurs espèrent bénéficier d’un manque dans les autres régions, ils attendent et il y a peu de ventes. » Mais pour que le manque se fasse sentir sur les marchés, il faut que la saison de commercialisation soit plus avancée, comme on l’entend désormais dire sur la place de Bordeaux. S’y diffuse désormais un message d’attente d’un effet à la fin de ce deuxième trimestre 2017.
Un espoir ténu qui succède à l’illusion tenace de croire que la situation était des plus favorables. « On sait que Bordeaux est très dépendant de l’extérieur pour les blancs. Les marchés demandent du rouge, mais le blanc doit être poussé » reconnaît Jean-Philippe Code, le directeur du service économie du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux. Comme le résume l’expert : « on ne remplace pas comme ça une bouteille de Muscadet parce qu’il n’y en a plus. »
« Au-delà de la conjoncture, qui peut sauver la mise, il faut s’intéresser au manque d’attractivité de Bordeaux blanc, cannibalisés par les rouges » alerte Hervé Grandeau. Pour lui, la grande question est de susciter l’envie sur le bordeaux blanc. Des opérations doivent être montées dans les prochains moins pour redynamiser son image dans les réseaux de distribution. Mais l’opération de repositionnement part d’autant plus loin que la catégorie reste peu attractive.
« Alors que l’on a des difficultés à vendre nos blancs, la relance de ce vignoble peut passer par le fort potentiel des crémants de Bordeaux » glisse ainsi Lionel Chol, le président du Syndicat des Négociants en Vin de Bordeaux et de la Gironde, et PDG d’Œnolliance (qui ambitionne de porter la gamme des effervescents bordelais). « Il pourrait y avoir de l’opportunisme la prochaine récolte vers le crémant, mais cela nécessite une vraie technicité qui n’est pas donnée à tous » pondère Xavier Coumau. Pour le courtier, le problème du blanc risque d’éclater « quand les stocks vont peser avant les vendanges 2017 ». Le compte à rebours semble inexorablement lancé, avec le vignoble sur de la dynamite et le négoce surveillant la montre.
Après des campagnes où les cours suivaient des hausses et baisses dignes d’une brusque montagne russe, la commercialisation 2016-2017 des rosés de Bordeaux ressemble, presque étonnement, à un long fleuve tranquille. « Le marché des rosés est très sain, il y a un équilibre parfait ! » résume Xavier Coumau. Avec une particularité suffisamment inédite pour être soulignée : « le prix de départ est celui que l’on retrouve à la fin ». Selon l’interprofession, sur les huit premiers mois de la campagne, 85 222 hectolitres de rosés ont été contractualisés en vrac, tandis que le cours moyen s’élevait à 1 202 € le tonneau (soit -6 et +4 % par rapport à la situation en mars 2016).
Face à cette sérénité, « je suis le premier surpris » s’exclame Philippe Hébrard. Avec 181 050 hl revendiqués en 2016 (-3 % par rapport à 2015), « on a finalement eu une production supérieure à celle anticipée, mais les cours tiennent bien. Il n’y a pas de velléité à la hausse ou à la baisse… Tant mieux ! » souligne-t-il, tout en reconnaissant que la fortune est pour beaucoup dans cette stabilité de la production, et des cours.
Si le gros de la campagne est passé, des transactions se font toujours à des prix stables. Témoignant du développement de marché, ainsi que du besoin de piloter la production de rosé, afin de mettre la gamme à l’abri de coups de volant dans les volumes produits.