usqu’au jour même, l’idée que le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne puisse déboucher sur une séparation semblait hautement improbable. Mais ce 23 juin, l’issue du vote a surpris le monde entier, ouvrant une période d’incertitude qui a inspiré de nombreux analystes. La Grande-Bretagne étant le premier hub mondial des vins et spiritueux, les études se sont multipliées depuis l’été. Sans pouvoir tracer la moindre certitude, une seule chose semblant sure : personne ne sait comment les choses vont réellement tourner.
Dès le 8 juillet, la Rabobank annonçait que pour les échanges commerciaux, ce sont les taux de change qui seront cruciaux à court terme, tandis que ce sont les barrières douanières qui pèseront à long terme. « Il y aura des gagnants et des perdants » annoncent, sans plus s’aventurer, les analystes de la banque néerlandaise. Ce qui amène des opérateurs à s’inquiéter et d’autres à espérer.
« Tout ne va pas s'arrêter d'un coup » se rassurait, fin juin, Damien Leclerc, directeur de la cave la Chablisienne (qui réalise 20 % de son activité outre-Manche). Pour lui l’enjeu est d’anticiper l’inévitable érosion des ventes : « Sera-t-elle de 10, 20, 30 %. On sera encore plus à l'écoute qu'habituellement et concentrés sur les changements à venir. Nous suivrons les indicateurs macro-économiques et serons au plus près des marchés pour voir l'évolution des ventes. » Avec du recul, la hausse moyenne du prix d’une bouteille de vin européen vendu sur le marché anglais a augmenté de 29 pence.
Si les pays exportateurs s’inquiètent de barrières commerciales, la filière locale semble faire contre mauvaise fortune bon coeur*. « L’impact du Brexit sur les importations britanniques de proseccos et de champagnes est incertain. Mais ce qui est clair, c’est que quoiqu’il en soit, les effervescents anglais sont déjà une alternative viable » estime ainsi James Simmond (cabinet UHY Hacker Young).
Un message bien enregistré par les vignerons anglais, qui se sont rapidement emparés de cette perspective, et s’en réjouissent ouvertement. « Nous nous trouvons face à un nouveau chapitre de l’histoire de notre nation. Et sans le moindre doute, cela amènera des changements et des opportunités. La filière des vins du Royaume-Uni reste enthousiaste et optimiste sur son futur » estime ainsi un communiqué des Producteurs Anglais de Vin (l’EWP).
Cet optimisme est partagé par l’Association Britannique des Distributeurs de Vins et Spiritueux Anglais (la WSTA), qui se place à l’échelle mondiale du marché des vins et spiritueux pour se convaincre des opportunités ouvertes. A condition du moins d’avoir voix au chapitre pour orienter l’après-Brexit. Pour se maintenir à la place de « premier centre international du commerce des vins », les distributeurs britanniques poussent en effet leur gouvernement à s’aligner sur leur « programme politique pour le Brexit ».
Son objectif principal est d’éviter tout interruption des échanges avec l’Union Européenne, en évitant tout quota, et de poser les jalons d’accords bilatéraux avec des pays tiers. « Nous n’avons nullement l’intention d’attendre les bras croisés que le Brexit se fasse. Nous devons agir dès maintenant » indique ainsi Miles Beale, le directeur de la WSTA. Des protocoles d’accords bilatéraux ont ainsi été discutés avec leurs homologues américains, australiens, néo-zélandais… Au niveau européen, le silence est de rigueur, sans que l’on sache si cela témoigne de discrétion dans les préparatifs de négociations, ou d’apathie face à un discours anglais musclé.
* : A l’origine, la filière anglaise était officiellement opposée au Brexit. Ne serait-ce que par principe d’aversion au risque (notamment des taux de change).
Pour le Royaume-Uni, les échanges de vin représentent 2,8 milliards de livres d’importations et 440 millions £ d’exportations (soit 3,3 milliards et 520 millions €). Ce qui place aujourd’hui la Grande-Bretagne en tête des importateurs de vins par habitant dans le monde. A noter qu’en valeur, la France est le premier fournisseur en vins du Royaume-Uni (pesant pour le tiers des expéditions).