éziers : 80 000 habitants pour la sous-préfecture de l’Hérault et des milliers de manifestants sur le pavé pour être les hérauts des revendications viticoles ce samedi 15 novembre. Entre la fin des vendanges et le début du salon Sitevi, un nouveau rassemblement va réunir le peuple vigneron en crise pour que son impatience soit entendue à Paris et Bruxelles. Qu’il s’agisse de la valorisation du prix du vin à des niveaux rémunérateurs (d’achat par le négoce, mais aussi de la grande distribution, sans oublier le sujet inflammable des coefficients multiplicateurs en restauration), de la réduction de la production (arrachage et distillation dont le besoin est répété, mais le financement reste incertain), de la levée des contraintes françaises à la production et à la commercialisation (sont dans le viseur la loi Évin, Anses, la Taxe sur le Foncier Non-Bâti…) et du déclenchement de mesures d’urgence (suspension de cotisations MSA, année blanche…).
Un air de déjà-vu. Le cortège de ce 15 novembre ne devrait pas être différent de celui qui s’était lancé à Narbonne le 25 novembre 2023. Demain, il sera sans doute plus fatigué et plus à cran qu’il y a deux ans, le bilan de la sortie de crise étant mitigé : les 6 000 manifestants de 2023 avaient reçu des promesses ministérielles au Sitevi avant d’obtenir, dans la dynamique des mobilisations agricoles de début 2024, un fonds d’urgence de 80 millions € et un plan d’arrachage annoncé à 150 millions € sur des volets temporaires et définitifs avant de se réduire à 120 millions € seulement sur l’arrachage définitif fin 2024. Déceptive, cette trajectoire de soutien n’a pas de quoi rassurer les manifestants du millésime 2025 : pour que les demandes répétées soient écoutées et concrétisées en actions, il faut faire masse et, reconnaissons-le, faire peur. On ne voit Midi à la porte des gouvernants que lorsqu’il est rouge.
On pourrait reprendre en l’état les slogans des manifestations de 1907, dont le souvenir est préservé à Béziers sur la fresque d’hommage à Marcellin Albert (à l’angle de la rue des Capucins et de la rue Saint Jacques). « Abère tant dé boun bi et pas pourré manger dé pan ! » lance depuis 118 ans le vignoble occitan, crevant de faim malgré ses bons vins. La fresque représente également les 12 degrés de la misère viticole, retraçant la mobilisation de l’époque (manifestations de Sallèles à Montpellier, en passant déjà par Narbonne et Béziers) et se concluant par « des actes ! Plus de patience ! La faim justifiera nos moyens ! »
Une colère que l’on entendra sans doute ce 15 novembre parmi les manifestants, qui sont appelés par leurs organisations syndicales à ne pas dégrader les biens publics de Béziers, dont la municipalité accueille l’évènement et assure sa promotion locale. Mais on entend certains participants prévoir de faire un détour chez des négociants et des enseignes de la grande distribution GD au retour de la manifestation : des visites qui s’annoncent tout sauf de courtoisie, alors que l’exaspération et la colère couvent depuis trop longtemps. Les difficultés languedociennes étant multiples et se trouvant exacerbées après une récolte amputée par le coup de séchoir estival de la canicule du 15 août. Certains vignerons n’ont plus les moyens d’investir dans la culture de la vigne sur la prochaine campagne. Il faut d’urgence des réponses du gouvernement et de la Commission européenne.
Sinon, l’impasse sociale sera explosive : peuvent en témoigner une DREAL soufflée à Carcassonne et une MSA brulée à Narbonne début 2024*. Car jamais on n’a vu dans le Languedoc une situation de crise ne dégénérant pas si aucune solution n’est concrètement amenée en face. « L’orage gronde, gare aux éclairs » prévenait une pancarte de la manifestation du 2 juin 1907 à Nîmes. Qui aurait pu être reprise lors des manifestations des crises de surproduction du XIXème siècle en 1930 à Montpellier, 1955 à Béziers (« c’est une procession d’enfants de chœur » lançait Emmanuel Maffre-Baugé), 1967 à Carcassonne (« et s’il le faut, le Midi redeviendra cathare » déclarait André Castéra), 1971 à Béziers, 1975 à Sète, 1976 à Montpellier après le drame de Montredon… Et désormais 2025 à Béziers.
* : Actions s’inscrivant dans l’histoire, avec en 1963 des expéditions punitives chez des négociants et un train de vin algérien renversé, en 1974 le blocus de Sète et l’attaque des impôts de Lézignan, en 1981 l’ajout de mazout dans les 8 000 hl de vins italiens du navire l’Ampélos à Sète, en 1984 l’incendie du Leclerc de Carcassonne…




