a récolte 2025 s’annonce de nouveau très basse en volumes. Êtes-vous confiant dans une revalorisation des cours ? Est-ce que cela pourra être suffisant par rapport à l’explosion des coûts de production et la chute des rendements ?
Philippe Pellaton : Ce vendredi 7 novembre il y avait l'assemblée générale d’Inter Rhône. J'ai évoqué la récolte lors d’un tour de table et j'ai trouvé des professionnels sur la réserve quant au volume de récolte. On sait qu'il sera faible, mais il est difficile d'en mesurer l'impact à aujourd'hui. On est à peu près sûr que l'on sera sur des bases plutôt faibles d'une façon générale. Mais la région est grande, il peut y avoir des situations différentes d'un point à l'autre du territoire. Je reste prudent.
Très peu se sont exprimés sur les équilibres. Il y a des situations qui peuvent évoluer différemment d'une appellation à une autre. On a plutôt une situation qui s'est assainie en Côtes-du-Rhône, on retrouve des équilibres économiques meilleurs. Grâce aux éléments de distillation et certainement d'arrachage, que l'on va constater à la déclaration de récolte cette année. C'est pour ça qu'il y a un peu de prudence. On peut avoir des trajectoires qui sont légèrement différentes sur les autres appellations. Il y a un peu plus d'inquiétudes sur les appellations régionales hors Côtes-du-Rhône, Lubéron, Costières-de-Nîmes, Grignan-les-Adhémar, voire les appellations du Diois. On sent qu'on a un léger ralentissement de la commercialisation sur les crus du Nord à aujourd'hui. Les crus du Sud ont plutôt des indicateurs un peu meilleurs que l'année dernière. Ça fait un peu le balancier, d'une année sur l'autre, entre coup d'accélérateur et léger ralentissement. Globalement on reste sur des volumes commercialisés et des sorties de chais qui sont stables autour de 2,2 millions d’hectolitres de vin,
L’assemblée générale d’Inter Rhône vient de valider le dépôt auprès de la Commission européenne d’une demande d’accord interprofessionnel de durabilité sur les vins rouges des appellations Côtes-du-Rhône et Côtes-du-Rhône Villages sans nom géographique en vertu de l’article 210 bis*. Concrètement, est-ce qu’il y aura des prix d’orientation en bio et HVE ce millésime 2025 pour ces appellations ?
On a avancé statutairement et réglementairement sur ce dossier pour activer le 210 bis. Comme il s'agit des coûts de production, le syndicat des côtes du Rhône a été moteur là-dessus. Ça fait plus de 10 ans qu'on y a une forme d'expertise sur le coût de production. Les débats ont lieu, il y a eu des prises de paroles syndicales tant côté Organisme de Défense et de Gestion (ODG) que négoce (Union des Maisons de la Vallée du Rhône, UMVR). Ce que l'on a acté, et ce n'est pas tout à fait neutre, c'est que l'interprofession portera ce dossier, avec les deux familles là. Cela a été voté à l'unanimité. C'est l'acte qui scelle officiellement le dépôt du dossier à Bruxelles, puisque jusqu'à présent nous étions dans un échange avec la Commission européenne sur ce que pouvait être notre dossier, sur quelle base de coût de production il allait être monté. Maintenant, on est dans l'attente de cette instruction et de voir quels va être le retour officiel. On avance un peu dans le brouillard bien sûr quant au délai.
Est-ce que ces accords de durabilité permettront de communiquer des orientations de prix pour la campagne 2025-2026 ?
Nous travaillons [à Inter Rhône] et l'ensemble des deux familles, producteurs et négociants, travaille pour que ce millésime 2025 puisse être embarqué par cette mécanique de durabilité. C'est l’objectif que l'on se fixe. L’étape d’après sera que les maisons de négoce et le syndicat des vignerons devront se positionner sur la valeur cible. Ces valeurs sur lesquelles il va y avoir communication ne sont ni abordées ni calées. Nous avons des indicateurs, des éléments, mais cette valeur cible n’est aujourd'hui pas validée. Elle appartient aux échanges des deux familles sur leur validation définitive.
Tout l’enjeu est de passer de l'outil disponible à sa mise en œuvre. Ayant obtenu la validation de leur demande cet été par la Commission européenne, Pays d’Oc IGP doit encore finaliser et communiquer cet automne des prix d’orientation bio et HVE. Les visions production et négoce des prix d’orientation étant sensiblement différentes entre coûts de production et capacité du marché à absorber des hausses : comment s’annoncent les discussions ? Est-ce qu’il faut intégrer la grande distribution pour avoir un outil efficace ?
Oui, certainement. Après, je crois qu'il faut réussir cette première étape. Notre périmètre de compétence reste la relation entre des vignerons et des négociants. Je crois qu'il faut déjà réussir cette étape, au moins sur le principe, et mesurer effectivement ce que cette communication pourra donner : comment elle sera appréciée, comment elle sera perçue dans un premier temps d'information auprès de la grande distribution. Je vais avancer pas à pas pour sécuriser cet accord, cette capacité à le poser et à communiquer. Il y a une maturité des discussions entre les deux familles.
Cette maturité tient-elle à la compréhension que la guerre des petits prix ne nourrit qu’une spirale infernale faisant toujours plus descendre le cours plancher et détruisant la valeur ajoutée du vignoble et du le négoce ?
Clairement sur les prix qui ont pu être pratiqués durant ces deux dernières années, 2024 et 2025, sur des opérations. Car ces transactions ne représentent pas le cœur du marché. C'est vraiment l'arbre qui cache la forêt. Elles sont destructrices d’image et de relations humaines. Elles constituent un élément particulièrement crispant, et on a du mal à reposer le débat. Alors si on arrive à le reposer via ces outils-là, je trouve que c'est une bonne méthode.
Les prix qui ont été pratiqués sont destructeurs tout simplement de vignobles quand on voit ce qui est en train de se passer dans le vignoble. Le volume d'arrachage qu'il y a eu, le potentiel arrachage qui arrive. Et je pense aux arrêts de fermage et aux arrêts d'activité. On a une rupture du monde viticole qui est dramatique. Il y aura un avant et un après crise viticole. Quand on se relèvera, ce ne sera pas la même viticulture, en termes de volumes, d'ambiance…
Les prix d’orientation en bio et HVE vont-ils permettre de maintenir le niveau de certification dans le vignoble ?
Cette mécanique doit permettre l'écoulement de ces certifications. Aujourd’hui, si l’on est à 22 % de production en bio pour les Côtes-du-Rhône, on n’en commercialise parfois que 10 % sur l'appellation du fait du repli de bio en conventionnel. L’accord de durabilité est une mécanique de sauvegarde de l'engagement des vignerons dans ces démarches qu'on a qualifié de vertueuses. Dans un moment de difficultés, il pourrait être fait un pas en arrière parce qu'il faut faire des économies, parce qu'on n'en voit pas toujours l'intérêt, parce que le marché ne répond pas à tout ça. Mais dans un contexte de pression sociétale, après la sortie de Pestiriv, ce ne serait certainement pas la voie à suivre. Il faut un vrai accompagnement. L’accord de durabilité est un outil plutôt bien conçu par la Commission européenne sur une période de crise de courte durée. Ce n’est prévu que pour deux ans. Ce n’est pas une dynamique sur la durée, c'est vraiment un plan de sauvegarde pendant deux ans pour des engagements en matière environnementale.
Au-delà du 210 bis, d’autres leviers réglementaires européens sont envisageables pour assurer des prix rémunérateurs, comme l’article 172 ter permettant des prix d’orientation pour les AOC et IGP (sur raisins à date et peut-être sur vin en vrac à l’avenir). Est-ce que ce sont les outils prioritaires pour vous, plus qu’une évolution d’Egalim suspendue aux parlementaires français ou le déploiement d’Organisations de Producteurs (OP) qui ne font pas consensus dans la filière ?
Globalement dans la période dans laquelle on vit, tous les outils qui peuvent être imaginés et mis en place sont bons à prendre selon le souhait d’activation de chaque région et chaque interprofession pour répondre à sa problématique. Le 172 ter a plus été travaillé par les syndicats d'appellation que les interprofessions, sur la logique de coût de production et de son extension au vin. Les interprofessions ont plus travaillé sur Egalim pour trouver un partage de la valeur. Nous avons contribué, avec le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), à rédiger une mouture qui est relativement aboutie. Mais on n’arrive pas à la faire porter à plus haut niveau. La révision d’Egalim est bloquée à la volonté des ministres du gouvernement de rester en place et de porter ce dossier-là dans le périmètre parlementaire.
Tout ces outils font sens aujourd'hui pour le maintien de la viticulture sur les territoires. Parce que si nous ne sommes pas capables de commercialiser nos vins à un prix décent qui corresponde à nos coûts de production, il n'y a pas d'avenir. On est aujourd’hui dans de la résistance pure et on s'accroche pour pas se noyer. C’est une question de société : que veut-on pour nos territoires ? Bien sûr, il y a la règle du marché, mais malgré tout il faut des outils qui permettent à tout un chacun de vivre. Quand je me suis installé il y a 30 ans, on faisait un budget de trésorerie, mauvaise récolte ou pas, on avait une visibilité du prix, on pouvait investir, acheter des vignes, acheter des tracteurs. Aujourd'hui on ne sait pas ce qui va se passer le mois prochain. Les caves coopératives assurent une forme de visibilité, mais c'est vraiment complexe. Je ne vois pas comment cette crise viticole ne va pas générer une perte de surface colossale.
Après une campagne d’arrachage définitif 2024-2025 sur des fonds Ukraine, un autre plan d'arrachage est en attente, notamment de financement, avec d’importantes demandes exprimées dans le vignoble. Quelles sont les perspectives pour le Rhône ?
Je n’ai pas de chiffres, mais intuitivement je vois des vignerons en tel manque de visibilité qu’ils sont prêts à beaucoup de choses pour sortir de cette souffrance. Je vois un volume d'arrachage qui serait certainement supérieur à la première vague. Cela dépend aussi de la structuration du vignoble : s’il est en propriété ou en location. Je trouve qu'il y a une volonté d'arrêt des fermages qui est plus fortement verbalisée aujourd'hui. Qui dit arrêt de fermage, dit année de battement pour le propriétaire qui ne l’avait pas prévu.
Cela pose la question de la gestion de la crise viticole de manière globale. Un récent rapport du Sénat porte comme mesure principale la tenue d’Assises de la viticulture, dans la lignée de la demande de Grenelle portée il y a quelques années. Est-ce une proposition importante ou faut-il dépasser le constat et être dans l'action?
Je pense qu'il y a trop de constats et de promesses aujourd'hui. Il faut rentrer très directement dans l'action concrète. On peut avoir des prises de paroles positives qui sont prises, mais on n'a plus de cuivre pour traiter. Il y a quand même des décisions qui sont antinomiques. D'un côté on nous dit, "je vous ai bien compris" et en fait on est acculé au quotidien à plus de complexité, à plus de difficultés, dans nos pratiques, dans la charge administrative. S'il doit y avoir un Grenelle ou des Assises de la viticulture, il faut que ce soit positif. Tous les éléments de communication en provenance des pouvoirs publics sont négatifs. Avec Pestiriv ce sont les problèmes de santé, avec le budget c’est la fiscalité… S’il n’y a pas de changement de discours, je ne vois pas l'intérêt. Il nous faut reconquérir le marché français et ses consommateurs.
Dans le plan de filière, Cap Vin, il y a cet enjeu de redéveloppement du marché français, ce qui constitue la deuxième décision de l’assemblée générale d’Inter Rhône
Dans Cap Vin, il y a un pilier de relance de la consommation en France, ce qui passe par des outils de promotion sur le territoire. Cela peut être de nature œnotouristique, c'est un vrai axe positif de communication et de valorisation de notre métier, de nos pratiques et de nos vins. L'autre axe fort sur lequel la filière travaille depuis longtemps, ou depuis toujours, c'est la capacité à communiquer ensemble. Plusieurs pistes ont été présentées à l'assemblée générale, selon plusieurs formes de déploiement travaillés au sein du Comité National des Interprofessions des Vins à appellation d'origine et à indication géographique (CNIV). Il est question que chacune des régions puisse se positionner sur le principe même de communication collective. On est vraiment sur le principe : est-ce que la région est en capacité de soutenir et d'avancer sur un plan de communication nationale ? Que l'on ne calera peut-être que fin 2026 ou début 2027. Qui prendra peut-être une forme de communication sur réseau social, affichage ou événementiel. Je ne sais pas, mais l'idée est d’essayer de fédérer et de pouvoir lever un budget de communication via les interprofessions. On verra si l'État et les pouvoirs publics nous accompagnent là-dessus et s’ils sont force de proposition et d'accompagnement. Ils ont mis 13 millions d'euros sur Pestiriv, on pourrait imaginer qu'ils puissent mettre la même somme sur une campagne de relance de la consommation raisonnée
* : En application de l’article 210 bis du règlement UE 1308/2013*, dispositif qui prévoit l’exclusion de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne pour les accords de durabilité des producteurs agricoles.




