ngénieur œnologue pour les laboratoires Dubernet, Nicolas Dutour a analysé ce 13 août les taux d’humidité relevés lors du dernier passage du satellite Sentinel au-dessus des Corbières pour commencer à affiner le zonage de l’incendie ayant parcouru 16 000 hectares et dévasté quelques 1 500 hectares de vignes la semaine précédente. « Comme nous l’avions fait en 2019 lors de l’incendie de l’Alaric, pour aider le vignoble bordelais en 2022, et pour l’ensemble des feux de Lagrasse, Bizanet, Moux et Narbonne-Bages de ce début d’été, nous avons aussi demandé au Centre national d’études spatiales (CNES) de nous transmettre la cartographie des émissions de monoxyde de carbone qui sont le reflet parfait des combustions incomplètes et donc des fumées. Nous devrions l’obtenir ce lundi 18 » espère-t-il.
Nicolas Dutour et ses collègues communiqueront ces données au pôle technique de la fédération des trois interprofessions du bassin ex-Languedoc-Roussillon, InterSud, qui pourra à son tour via le portail viti-incendie.fr orienter les vignerons vers les bonnes parcelles à échantillonner pour réaliser des analyses de goûts de fumée. « L’essentiel est qu’ils ne partent pas faire leurs prélèvements à l’aveugle au risque de tomber dans l’eau comme à la bataille navale et de finir par mélanger des raisins contaminés avec des raisins sains », insiste l’œnologue.
A réception des raisins à Narbonne, les laborantins de Dubernet utiliseront la chromatographie en phase liquide pour doser six précurseurs glycosylés non-odorants, « les précurseurs les plus importants d’après l’AWRI en Australie et ETS en Californie, qui maîtrisent très bien le sujet », précise Nicolas Dutour, et définir une échelle de risque de contamination des vins allant de 0 à 4. Les résultats d’analyse de tous les laboratoires d’œnologie de la région seront mis en ligne sur viti-incendie.fr. « Si un vigneron constate que des vignes proches de ses parcelles sont fortement contaminées, il aura tout intérêt à envoyer des raisins à l’analyse. A l’inverse, une parcelle au milieu d’un îlot sain pourra être considérée comme indemne de goûts de fumée », explique Nicolas Dutour.


Après cet état des lieux, la bonne stratégie consistera selon Nicolas Dutour à regrouper les raisins contaminés par niveaux de risque et à les vinifier en suivant différents protocoles détaillés dans une fiche corédigée par Dubernet, l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), et le Centre du rosé, en Provence. Aux œnologues recommandant de renoncer à vinifier les raisins contenant des précurseurs glycolysés en rouge ou qui conseillent de limiter au maximum les macérations, il rappelle que « personne n’a jamais entendu dire que les vins chiliens et californiens étaient mauvais lors des millésimes à gros incendies. » Lui préconise à l’inverse d’extraire suffisamment de matière lors du cuvage, « de bodybuilder les vins », pour les préparer à un traitement à l’osmose inverse couplé à une adsorption sur charbon actif, une méthode proposée par plusieurs prestataires depuis que l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) l’a autorisée en 2023, « comme l’ultrafiltration suivie de l’élimination par résines échangeuses d’ions mais qui elle n’est pas encore disponible en France. »
Nicolas Dutour est sûr que la méthode fonctionne, « contrairement au lavage des raisins, à l’enzymage et à l’utilisation d’écorces de levures. » A condition d’être bien identifié, vinifié, et traité, il promet qu’ « aucun vin ne sera laissé sur le carreau des incendies. Toutes les cuvées de cœur de gamme pourront être embouteillées comme à l’accoutumée. »
Disposant de solutions techniques, les sinistrés devraient d'après l'œnologue également bénéficier d’un soutien financier. « Je sais que le Comité interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL), l’association des maires de France, et d’autres donateurs sont prêts à alléger la facture des vignerons souhaitant faire analyser leur vendange et qu’InterSud va travailler sur le financement des analyses de vins avant assemblage et de l’osmose inverse qui coûte rarement moins de 20€/hl mais pourrait être rationnalisée en plaçant des postes de traitement à différents endroits stratégiques, annonce-t-il. Un travail au long cours est engagé pour sauver le millésime. »
Les laboratoires Dubernet organisent une réunion destinée aux viticulteurs concernés par les incendies ce mercredi 20 août à 17h30 à Montredon-des-Corbières. Cette réunion sera également accessible en distanciel.