auriac, à 50 km au sud-est de Bordeaux, dans l’Entre-Deux-Mers. Ici, au Château Gaury-Balette comme sur l’ensemble des 55 ha des Vignobles Yon, plus personne ne relève la vigne manuellement, et ce depuis six ans. « Et on ne reviendra pas en arrière », jure, satisfait, Bernard Yon, qui a fondé cette exploitation en 1976.
Sémillon, sauvignon, merlot, petit verdot, malbec, cabernet sauvignon… Plus aucun cépage n’est relevé à la main. Tous tiennent pourtant bien droit, du seul fait qu’ils s’accrochent au fils de palissage à la suite de fréquents rognages. Une technique que David Clerdan, conseiller viticole et agroéquipement à la chambre d’agriculture de la Gironde, aimerait démocratiser. Hélas, le rendez-vous organisé ce 28 mai au Château Gaury-Balette – deux heures consacrées à présenter cette technique – n’aura réuni qu’une petite poignée de viticulteurs, montrant combien elle suscite encore trop peu d’intérêt, voire de la méfiance. « Alors que ses avantages sont réels, se désole le conseiller. Ça n’est pas une opération au rabais, le but est bien d’avoir du feuillage, de respecter l’intégrité des grappes et la qualité de la vendange. Tout en réduisant sensiblement les coûts. »
Selon la convention de la MSA, le coût d’un levage traditionnel, qui nécessite souvent deux passages, s’établit « autour de 600-650 euros par hectare, rappelle David Clerdan. Un levage mécanique comme celui-ci coûte entre 150 et 200 €/ha la première année, puisqu’il faut un peu de main-d’œuvre pour fixer les fils releveurs au palissage. Ensuite, on se situe entre 70 et 80 €/ha. » Aux Vignobles Yon, l’économie correspondante est estimée à 33 000 €/an, dans la mesure où il n’est plus nécessaire de recourir au renfort de dix saisonniers.
Voici quelques jours que Bernard Yon est passé avec son tracteur et sa rogneuse Collard mono-rang de 2001, au rythme de 11 km/h. Retraité, il continue d’assurer seul cette tâche : deux à trois jours de huit heures à chaque passage, à partir de la fin mai. Ici, les deux lamiers sont disposés en V s’ouvrant vers le bas. Cet écartement est réglé pour toute la saison sur 90 cm en bas, 75 cm au milieu et 52 cm en haut, pour une hauteur de coupe entre 1,40 et 1,50 m.
Cette configuration permet « de ne pas couper les grappes qui flottent la tête en l’air lors du premier passage, avant de retomber et de se positionner correctement dans les trois semaines, explique Quentin Yon, le fils, à la tête de l’exploitation. Les premières années, on s’est rendu compte qu’en resserrant trop, on rognait des raisins. »
À l’issue de ce premier passage, la vigne qu’on nous montre – une parcelle de sauvignon gris, en pleine floraison et taillée en cordon – présente des pousses de 70 à 80 cm. « Nous visons une hauteur de feuillage d’1,40 m, poursuit Quentin Yon. Le but est de contenir cette végétation pour la vendange. Pour y parvenir, nous effectuerons encore six ou sept rognages, le dernier à la fin juillet ou début août. » Des rognages qui ne nécessitent pas plus de dextérité que les précédents. « Nous n’avons de toute façon pas trouvé de défaut à cette technique », assure le vigneron. Pas même au niveau sanitaire. « Il n’y a pas davantage de maladies. Certains vous diront que cela rend la taille plus difficile, mais en ce qui nous concerne, c’est exactement pareil. »
Tout est parti d’une expérience fortuite. « En 2007, nous n’avons pas trouvé le temps de relever une parcelle de merlot de 2,5 ha, se souvient Quentin Yon. On était début juillet. J’ai dit à l’employé de la rogner malgré tout. Nous avons vu que ça donnait quelque chose de très carré, que ça fonctionnait. » Ce souvenir est ressorti dix ans plus tard, alors dans un contexte de crise. « Nous avons compris que si on ne trouvait pas à faire des économies substantielles, on ne survivrait pas, relate son père, alors nous avons adopté cette technique en même temps que la taille rase mécanique. »
Dès le départ, les vignerons ont décidé que cet abandon du relevage s’appliquerait sur tout le vignoble. « Tant qu’à changer de pratique, autant y aller franchement », partagent-ils. Il leur a toutefois fallu deux ans pour atteindre cet objectif. « Deux hivers de suite, un de nos saisonniers a fixé les fils releveurs, afin d’obtenir un palissage à quatre fils fixes sur nos vignes les plus récentes, et à cinq fils sur les vignes de plus de 40 ans. Des fils qui sont à 70, 90, 110 et 130 cm du sol dans les vignes jeunes, plus un fil à 1,50 m dans les vieilles vignes. » C’est le clouage des releveurs sur les piquets bois et le pliage des œillets sur les piquets métalliques qui se sont avérés chronophages. Des tâches réalisées par un saisonnier, seul, par périodes d’un mois et demi. « Il se demandait d’ailleurs à quoi ça allait bien pouvoir servir : il était traditionnel, il avait l’habitude de lever à la main. Au début, il râlait un peu mais aujourd’hui, il ne veut plus entendre parler de levage ! », confie Quentin Yon avec un sourire.
Le non-levage consiste à « accompagner la vigne à pousser droit, comme on le fait avec un grillage pour les petits pois, illustre David Clerdan, conseiller viticole à la chambre d’agriculture de la Gironde. On va chercher à ce que les vrilles s’agrippent d’elles-mêmes aux fils fixes ». Au lieu d’un grillage, c’est, dans le cas de la vigne, un palissage à quatre fils fixes qu’il faut installer.
Autres règles essentielles : rogner tôt – avant que les sarments ne s’écartent trop du palissage –, et souvent – tous les dix à quinze jours. « Au début, on a l’impression de passer un peu pour rien. Sur une piquetée de 5 à 6 mètres de longueur, on coupe quatre, cinq ou huit têtes à peine ; mais il faut le faire afin d’inciter la vigne à repartir. Les premiers rameaux que l’on coupe, ceux de l’extérieur, vont durcir un peu plus vite et constituer une sorte de charpente qui va contenir les rameaux intérieurs, lesquels vont s’accrocher aux fils. »
Selon le technicien, cette méthode convient à tous les types de taille, y compris en guyot, et à tous les cépages, « même ceux à port retombant, comme le merlot, ou qui ne poussent pas forcément droit, comme le cabernet sauvignon ».