ien ne va dans la France viticole de 1935. « Après les ravages du phylloxéra, on a replanté trop de vignes qui produisent trop, rembobine Olivier Jacquet, chercheur à la Chaire Unesco “Cultures et traditions vitivinicoles” de l’Université de Bourgogne. L’utilisation de cépages très productifs et d’engrais permet d’atteindre des rendements de 200 à 300 hl/ha, voire 400 hl/ha en Algérie française. »
La situation est aggravée par des pratiques pernicieuses qui se sont banalisées après le phylloxéra pour pallier les manques de volume : mouillage, production de vin à partir de raisins secs… Pourtant, les Français lèvent le coude : « Entre les deux guerres, on boit en moyenne 120 l par an, indique l’historien. Mais c’est insuffisant. Beaucoup de marchés à l’export se sont fermés : la Russie depuis la révolution d’Octobre de 1917, l’Allemagne après la guerre, les États-Unis avec la prohibition… Et le krach boursier de 1929 a fait s’effondrer l’économie mondiale. »
En 1934 et 1935, l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) comptabilise plus de 75 Mhl produits pour une consommation intérieure de 48,5 Mhl et à peine plus de 720 000 hl exportés. Cette surproduction chronique exacerbe la concurrence entre producteurs.
Au début des années 1930, des mesures d’arrachage et de distillation sont imposées aux vins ordinaires mais pas aux vins d’appellation d’origine qui existent déjà et sont protégés par une loi de 1919. Beaucoup de producteurs souhaitent passer en appellation d’origine pour échapper à ces contraintes. Il faut donc que ces vins se démarquent qualitativement des vins ordinaires afin de justifier une différence de traitement. C’est dans ce contexte que le gouvernement prend le décret-loi du 30 juillet 1935 qui crée les appellations d’origine contrôlée, les fameuses AOC. Celles-ci doivent satisfaire à des conditions de production « relatives à l’aire de production, aux cépages, aux rendements à l’hectare et au degré minimum du vin », ce qui n’était pas le cas pour les appellations d’origine. Cette même loi fonde le Comité national des appellations d’origine de vins et des eaux-de-vie, ancêtre de l’Inao, et le charge de déterminer les conditions de production « après avis des syndicats intéressés ».
Châteauneuf-du-Pape sera la première AOC reconnue par un décret du 14 mai 1936. Cinq autres AOC – Arbois, Cassis, Cognac, Monbazillac et Tavel – passent avec elle au JO du 17 mai 1936. Puis, en juin 1936, c’est l’AOC Champagne qui voit le jour et beaucoup d’autres dans les années qui suivent. Dans la foulée, la qualité globale des vins s’améliore. « Toutefois, à l’époque, le consommateur a du mal à saisir le concept des AOC, observe l’historien. Jusque dans les années 1970, les vins d’appellation représentent moins de 12 % de la consommation nationale et le “goût de terroir” a une connotation négative ! »
« L’Inao a été créé par le monde viticole : c’était quelque chose de nouveau, très démocratique, avec un lien très fort entre décideurs locaux, administration et syndicats, souligne Olivier Jacquet. Le système des AOC a toujours évolué mais, paradoxalement, on tient aujourd’hui un discours d’immuabilité. Or, les notions de terroir et de tradition sont une invention du XXe siècle : les traditions d’aujourd’hui sont des innovations qui ont réussi à l’époque ! Déconstruire ce discours, c’est être capable de faire évoluer les AOC sans tout casser. Car le critère qualité d’aujourd’hui peut être différent de celui d’hier et de demain. »