a conjoncture est compliquée mais les vignerons savoyards savourent leur chance : « Depuis quelques années il y a un coup de projecteur sur notre petit vignoble de 2 000 ha, cela nous aide bien », apprécie Clément Giachino, rencontré sur le salon Jours Fruit, qui rassemblait une centaine de vignerons bio à Chambéry le 31 mars. « La Savoie n’a jamais été très connue et a eu un passage à vide car tout n’était pas qualitatif, reprend le Savoyard, installé sur le domaine familial de 15,5 ha en bio à Chapareillan. Mais il y a eu du renouveau et les gens apprécient notre travail sur l’acidité et les cépages locaux. Certains avaient été délaissés pour des soucis de maturité et reviennent au goût du jour avec le réchauffement climatique. »
L’ampélographie est même une passion pour le domaine Saint Germain, à Saint-Pierre d’Albigny, où Raphaël et sa fille Louise cultivent et conservent plus d’une trentaine de cépages. « Ils apportent aux vins de Savoie une identité, au même titre que les paysages qui renvoient une image de nature et de propre, analyse Louise. Nous avons aussi l’atout d’être une petite appellation à prix abordables. » La moitié des vins bio du domaine Saint Germain, vendus 7 à 15 €HT, sont écoulés en CHR France, 30 % exportés (Amérique et l’Europe) et le reste vendu aux particuliers.
« Il est plus dur de vendre du vin de Savoie aux Savoyards qu’aux touristes français et internationaux », confie Franck Merloz, caviste à Saint Jean de Maurienne. Eté comme hiver, il vend de belles voire très belles bouteilles : « Il y a de vrais amateurs qui recherchent des quilles pointues, comme des roussettes ou apremont à 30 €. »


Le domaine des Côtes rousses, 6 ha à La-Motte-Servolex, assume ses prix de 17 à 30 €HT, justifiés par « le travail en bio sur des pentes, la prise de risque du sans sulfite et la rémunération juste de nos travailleurs », explique Marielle Ferrand. Ses ventes, à 80 % en France dont un tiers localement, frémissent à nouveau après un ralentissement. « Les vins de Savoie ont plutôt la cote car ils sont frais, mais quand la consommation flanche, on doit défendre notre place, note la vigneronne. Nous sommes un petit vignoble qui, contrairement au Jura ou au Beaujolais, peut vite être oublié. »
Fraîcheur et identité sont aussi les deux jambes sur lesquelles marchent les vins de l’Isère et des Hautes-Alpes, deux minuscules vignobles très majoritairement bio. « Commercialement, je n’ai aucun problème : c’est une si petite appellation avec des vins tellement originaux », sourit Mickaël Olivon, au domaine des Hauts lieux, qui exploite 2,5 ha plantés d’une diversité de cépages à petits rendements à plus de 900 m d’altitude. En Isère, les cépages autochtones retrouvés et replantés par Nicolas Gonin depuis vingt ans lui ont permis de se faire une place chez des cavistes et restaurateurs – il est ainsi l’unique cultivateur de mècle, un cépage oublié dont il tire une cuvée vendue plus de 20 €.
Les vignerons de l’Ain ont plus de mal à surfer sur cette vague. « Avec 2,5 ha et des prix accessibles – 7,5 à 9,5 €HT pour du vin bio, je pensais que la vente ne serait pas un problème, mais je rame », partage Nadège Allouch, installée en 2022 dans le Bugey. « Le commerce est très compliqué, abonde Niels de Chardon, installé en 2021 avec Louise sur 4 ha, également dans le Bugey. On fait des salons, mais comme tous les vignerons ont besoin de vendre, il n’est même pas toujours possible d’avoir un stand ! » Bénéficiant d’un peu plus d’ancienneté dans cette même appellation, Céline et Thierry Tissot, sur 5 ha, vendent surtout au CHR France et un peu aux Etats-Unis. « Être une petite appellation peu connue est un atout, mais il faut prendre le temps d’expliquer et situer notre vignoble, et s’appuyer sur les cavistes pour communiquer dessus, partage Céline. Et mieux vaut viser Paris et France entière que le très local, où il est dur de se faire une place ! »
Plusieurs vignerons aindinois confient vouloir s’émanciper – au moins partiellement- d’une appellation peu porteuse, notamment pour tester des cépages différents. C’est aussi la stratégie du drômois Nicolas Sinoir, installé en 2022 sur 4 ha dans le Diois, qui préfère faire des "pet nat" de muscat petitgrain et des vins de France que de la Clairette de Die. Il diversifie son encépagement en replantant ou surgreffant des cépages « qui [lui] plaisent et dont des traces ont été retrouvées localement » comme le mollard, le feunatte et la verdesse.


L’ambiance sur le salon, qui a accueilli plus de 2 200 visiteurs sur deux jours dont au moins la moitié de professionnels, était excellente. Mais les vignerons qui payent 400 € le stand « ne sont pas là que pour le plaisir, lâche Olivier Chereau, organisateur de Jours Fruit depuis six ans. S’ils sont là, c’est qu’ils ont besoin de vendre, et au bon prix. C’est super que la Savoie ait la cote aujourd’hui, surtout les bio d’ailleurs, mais peu de vignerons se rémunèrent correctement. On est au début de quelque chose, mais encore loin, très loin d’être au top niveau !