l n’y a pas que la compétition entre Wine Paris et ProWein pour diviser les vignerons français et allemands : parlez de phosphonates de potassium et vous verrez tout de suite apparaître les avis les plus tranchés entre confrères bio… En France, l’opposition semble massive pour préserver la crédibilité du label biologique. Présentés en questions de principe, les trois arguments disqualifiant ce fongicide pour les bio français consistent en son origine de synthèse, son action systémique et la présence dans les vins de résidus (l'acide phosphonique). Une opposition de principe partagée par l’Espagne, l’Italie et le Portugal. Pas de moralpolitik mais de la realpolitik Outre-Rhin, où l’on ne comprend pas la levée de boucliers de ses grands producteurs de vins bio, comme on pouvait l’entendre dans les allées du salon ProWein.
Si tout le monde il est bio, « l’opposition des pays du Sud n’a pas de sens. Nous avons besoin des phosphonates. Ce n’est pas un argument de dire qu’ils sont d’origine de synthèse, on trouve du phosphonate dans les roches. Qu’on ne me dise pas que la bouillie bordelaise se trouve à l’état naturel… » critique un vigneron allemand pour qui l’autorisation des phosphonates en bio tient de l’évidence. Il regrette l'époque où les textes européens permettaient de considérer comme biostimulants les phosphonates et donc de les appliquer dans le vignoble bio. Allemand du moins, la France n'ayant pas eu cette lecture, jusqu'à la mise au point de 2013 où les phosphonates ont été définis pour tous comme substance active pour produit phytopharmaceutique. Amer, ce vigneron ouest-allemand balaie avec vigueur l’argument sur l’action systémique : « l’eau aussi rentre dans la plante, et on n’en fait pas toute une histoire » assène-t-il.
« Un mix phosphonate et cuivre est une bonne solution. On a besoin des deux » argumente un autre opérateur allemand, plaidant pour un maintien de la dose de cuivre à 28 kg/ha sur sept ans, mais avec une boîte à outils renforcée pour réussir à convertir plus de vignes au bio. Les résidus n’étant pas un sujet pour ce connaisseur du sujet, car l'Allemagne demande une autorisation des phosphonates en bio jusqu’à la fin de la floraison seulement, pour être bien en dessous de Limites Maximales de Résidus (200 mg/kg dans les raisins pour l'acide phosphonique, quand les essais allemands du programme Vitifit mesuraient en moyenne 9,9 mg/kg, pour des concentrations allant de 3,2 à 20,3 mg/kg).
Pas de quoi convaincre dans le vignoble bio français réfractaire aux phosphonates : si les contaminations des raisins sont plus faibles pour un traitement avant la floraison, c'est le cas pour tous les phytos (et c'est l'approche du label Zéro Résidu de Pesticides glisse un connaisseur). Et cela ne retire pas le problème central des phosphonates pour ses opposants : son origine chimique de synthèse. Sans oublier qu'il est impossible de distinguer par l'analyse si les résidus d'acide phosphonique proviennent de phosphonates ou de fosétyl d’aluminium, un antimildiou interdit en bio.
Difficile de distinguer l’ivraie du phosphonate ? Irréconciliables, les visions françaises et allemandes empêchent tout consensus technique. Ce qui laisse la porte ouverte à une décision purement politique. Également soutenus par l’Autriche, la Hongrie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la république Tchèque, les phosphonates en bio font partie pour ces pays des recommandations du Groupe de Haut-Niveau sur les politiques vitivinicoles européennes (GHN), qui stipulent que la viticulture bio doit être possible dans tous les vignobles historiques. Y compris dans les zones humides où il est impossible de protéger les parcelles seulement avec du cuivre pour les défenseurs des phosphonates. L’arbitrage européen sur ce sujet va modeler le visage du bio communautaire, dans un sens ou dans un autre.