itués à 1 000 km l’un de l’autre, Gonzalez Byass (Xérès) et Familia Torres (Vilafranca del Penedès) ont participé à une expérience grandeur nature pour déterminer la faisabilité économique et environnementale d’un dispositif de réutilisation de bouteilles de vins dans le secteur CHR en Espagne. Baptisé Rebo2vino, le projet a été développé par un groupe multirégional dirigé par la Fédération espagnole du vin (FEV) et s’est déroulé sur un total de 29 mois.
Une analyse multidisciplinaire
En plus de Familia Torres et Gonzalez Byass, plusieurs acteurs clés de la chaîne de valeur ont été mobilisés. Verallia a développé une bouteille réutilisable et testé sa résistance à l’usure sur 5, 10, 15 et 20 rotations afin d’évaluer l’impact des abrasions. Pour accompagner cette initiative, des étiquettes lavables et des caisses consignées de 12 bouteilles ont été mises à l’épreuve pendant 18 mois. Parallèlement, la Chaire Unesco de Cycle de Vie et Changement Climatique de l’ESCI-UPF a conduit une analyse complète du cycle de vie du dispositif, comparant une bouteille à usage unique et une bouteille réutilisée. Une application dédiée à la gestion des bouteilles dans les établissements a également vu le jour, tandis qu’une étude a examiné comment les clients ont perçu les bouteilles réutilisées. Ce projet, qui a nécessité un financement de 563 000 euros, a bénéficié du soutien total du FEADER de l’Union Européenne.
Un bilan environnemental positif, sous conditions
Bien que les résultats du projet soient encore en cours d’analyse, certaines conclusions clés émergent déjà, mettant en lumière les principales barrières, limites et opportunités liées à la réutilisation des bouteilles de vin. Josep Maria Ribas, directeur du changement climatique chez Familia Torres, pointe trois obstacles majeurs : « La faible rotation du vin en restauration, l’absence de bouteille standard — bien que ce projet vise justement à proposer un format commun — et le manque d’installations de lavage en Espagne, même s’il existe un centre performant, sans doute le seul du pays, tout près de chez Torres, dans le Penedès ». À cela s’ajoutent les allers-retours nécessaires pour le lavage des bouteilles ainsi que le coût de cette opération. Toutefois, Josep Maria Ribas précise que « ces coûts restent inférieurs à ceux des bouteilles neuves, car les distances — du moins dans notre cas — sont relativement courtes ».
Circuits courts et fortes rotations
Autre conclusion positive : « Une bouteille standard est faisable et n’est pas forcément lourde (430g). Elle résiste à plusieurs rotations et donc, si les conditions autour sont remplies et que les distances sont suffisamment courtes, cette solution est plus durable, permettant de réduire l’empreinte carbone, l’utilisation de l’eau, du sol, de l’acidification et d’autres ressources ». Avec toutefois quelques réserves : « Le projet a simulé un taux de réutilisation de 100% des vins commercialisés dans le secteur CHR. Evidemment il ne s’agit pas d’un scénario réaliste et nous devrions nous concentrer sur les références vendues sur le plan local avec la plus forte rotation ». Autre point sensible : la place requise pour stocker les bouteilles en attendant la collecte. « Les restaurateurs n’envisagent la faisabilité de la réutilisation qu’avec une bouteille standard. Autrement, il serait impossible de gérer le stockage ». D’ailleurs, la mobilisation des restaurateurs représente une condition sine qua non pour la réussite du système.
Le besoin de communiquer
Pour Familia Torres et Gonzalez Byass, ce ne sont pas tant la mécanique de la bouteille ni l’adoption d’un format standard qui posent problème – dans le cas de Torres il s’agissait du vin blanc biologique Viña Sol (DO Catalunya) – mais plutôt l’apparence de la bouteille usagée. « Les résultats montrent qu’après dix rotations, le client final commence à exprimer un avis particulièrement négatif sur la perception de la qualité », partage Josep Maria Ribas. « Certains associent les abrasions à un vin de mauvaise qualité ». D’autres, en revanche, l’ont assimilé à un vin plus durable. « Il faut préciser que les résultats divergeaient selon que les participants avaient été informés du projet ou non, ce qui montre que la communication représente un aspect clé de l’acceptation des bouteilles réutilisées. L’étude a également fait ressortir une confusion significative entre les concepts de bouteilles recyclées et réutilisées ». Quant à la bouteille elle-même développée par Verallia, elle a été jugée « apte à 100% ».


Fortes de ces enseignements, les parties prenantes du projet entendent relayer l’information sur la faisabilité de dispositifs de réutilisation de bouteilles de vin, « sous réserve que la filière s’engage sur un modèle de bouteille de vin paneuropéen ». Pour le directeur du changement climatique chez Torres, ce dispositif « constituerait un grand atout dans certains pays où la commercialisation des boissons alcoolisées est contrôlée par l’Etat, les producteurs pouvant expédier leurs vins en vrac pour y être mis en bouteille sur place et entamer le cercle vertueux de la réutilisation, quelle que soit la référence de vin et à condition qu’une bouteille standard soit employée ».