00 % d’augmentation de taxes ? Patrick Luquet manque de s’étrangler. « C’est incompréhensible et dramatique. Il n’y a jamais eu de taxe aussi forte. On est face à une escalade. L’Europe annonce 50% de taxes sur les voitures américaines et sur les Harley Davidson. Trump répond en annonçant des taxes de 200 %. Tout cela est pathétique », dénonce le cogérant du domaine Luquet, 32 ha à Fuissé, qui exporte 70 000 cols aux Etats-Unis sur une production de 240 000 cols. Et de se féliciter de prospecter d’autres marchés.
Patrick Luquet se rendra à Düsseldorf au salon Prowein du 16 au 18 mars. « C’est le moment d’investir des marchés sur lesquels nous sommes peu présents, tels que l’Allemagne, avant que Trump ne mette ses menaces à exécution. L’Allemagne ne représente que 10 000 € de CA pour nous. Il y a des opportunités tout comme en Hollande ou en Belgique », explique-t-il.
Le domaine Luquet exporte depuis 20 ans Etats-Unis où la demande est si forte, ces derniers temps, qu’il a développé une activité de négoce pour y répondre. Il a prévu des expéditions jusqu’en mars 2026. Patrick Luquet n’espère qu’une chose : que l’Europe et les Etats-Unis reviennent à la raison afin de maintenir son courant d’affaires.
En Gironde son confrère Jean-Hubert Fabre, l’avoue : « mon optimisme en a pris un coup. La viticulture est toujours prise pour cible. 200% de taxes signifie arrêt complet de nos exportations vers les Etats-Unis. Ce sera aussi très impactant pour les salariés de nos importateurs qui risquent le licenciement ».
Basée à Cissac-Médoc, la famille Fabre est à la tête de 50 ha sur trois propriétés en appellation Haut-Médoc et Margaux. Elle produit 500 000 cols par an. Les Etats-Unis sont son premier marché avec 120 000 cols. Dès septembre son principal importateur, la chaine Total Wine and More, présente dans 25 états avec 250 magasins, s’est couverte en augmentant de 20 % ses commandes. Ses deux autres importateurs n’ont pas bougé.
En avril prochain, Jean-Hubert Fabre doit se rendre pour dix jours aux Texas et sur la Côte Ouest pour former les vendeurs de Total Wine. Un voyage décidé bien avant la menace de Donald Trump et qui est maintenu. Alors Jean-Hubert Fabre, le répète : « il faut être plus actif que jamais ». Présents dans 28 pays, les domaines Fabre s’attaquent à d’autres cibles comme la Corée du Sud, espérant ne pas être contraints de délaisser les Etats-Unis.
Pour Yann Chave aussi les menaces de Donald Trump sont un coup de massue. A Mercurol, dans la Drome à la tête de 24 ha, il produit 120 000 cols, en écoule 63 600 à l’export dont 10 % aux Etats-Unis. Son premier vin part à 13 € HT de la propriété. Le consommateur américain le paye 100 dollars. « Avec 200% je ne vendrais plus une seule bouteille aux Etats Unis. Avec une surtaxe de 25 %, mon vin se retrouvait à 125 dollars, soit à des prix identiques aux vins californiens. Les 25% de hausse étaient éventuellement jouables ».
Ce viticulteur pensait avoir vécu le pire sous le mandat de Joé Biden. « Depuis cinq ans, le marché s’est étiolé du fait d’un climat économique difficile aux Etats Unis. Nous avons fait moins 40% en termes de chiffre d’affaires sur cette période ». Face à la hausse qui se profilait, ses importateurs ont passé commande dès janvier alors qu’ils attendent avril habituellement.
A Sancerre, Vincent Creton est plus serein. Le chiffre de 200% ne l’émeut pas. « On est sur un effet d’annonce de la part de Donald Trump. Pour l’heure, nous ne recevons aucune annulation de commande. Si cette taxe s’applique, nous nous reporterons sur d’autres marchés », prévient le directeur de la coopérative de Sancerre dans le Cher.
Un de ses importateurs américains l’a appelé dès l’annonce des 200% de taxe pour lui indiquer que rien n’était acté et que rien ne changeait. 60 000 bouteilles de Sancerre blanc et 20 000 de Sancerre rosés vont partir pour les Etats Unis en avril prochain. Et depuis l’élection du nouveau président des Etats-Unis aucun de ses cinq importateurs n’a augmenté ses commandes pour se couvrir. Et pour cause : le coût du stockage a explosé en 2024.
La coop de Sancerre produit 1,8 million de cols et réalise 75 % de son CA à l’export avec 1,3 million de cols dont 270 000 aux Etats-Unis où ses vins partent de la cave à 11 € HT pour se retrouver aux alentours de 37 dollars chez les cavistes newyorkais. La confiance de Vincent Creton s’explique. « Nos clients sont sous allocation, dit-il. Et la liste d’attente est longue. En fait nous n’arrivons pas à répondre à la demande. Nous sommes au maximum de nos vignes ». Malgré cela, la coop continue de diversifier ses débouchés et prospecte du côté de la Thaïlande, du Japon, du Vietnam et de la Corée du sud. Des contacts sont en cours avec Thai Airways pour un contrat qui pourrait porter sur 60 000 cols par an.
Dans la Marne, à Pierry, Julien Breuzon, directeur commercial des champagne Vollereaux, 42 ha, 450 000 cols, assure qu’il n’est pas alarmiste : « Il faut rester attentif. Ce sont des effets d’annonce auxquels Trump nous a habitué. J’en discuterai avec mon importateur si ces taxes deviennent une réalité ».
Champagne Vollereaux exporte 315 000 cols dont 47 000 vers les Etats Unis. Dès la menace brandie par Donald Trump, le 26 février, d’appliquer 25 % de droits de douane supplémentaires, Julien Breuzon a appelé Palm Bay International, son importateur pour savoir quelle attitude adopter. Réponse : wait and see. « Lors du premier mandat de Trump, il n’y a pas eu de taxe sur le champagne, alors que notre importateur s’était couvert à hauteur de 50%. Aujourd’hui, il estime que l’on est dans un effet d’annonce. Donc, il ne prend pas prendre le risque de surstocker d’autant que la situation économique est incertaine », explique-t-il.
En attendant, Champagne Vollereaux avance ses pions : déjà présent sur 45 pays, l’entreprise compte défricher de nouveaux marchés tels que le Pérou, le Chili ou encore le Brésil. Yann Chave continue lui aussi de mettre les bouchées doubles, mais en France. Sur l’axe Rouen Nantes La Rochelle sa propriété enregistre une progression à deux chiffres. Des poches d’espoir.
En 2024, aux Etats Unis, les exportations de vins et spiritueux aux Etats-Unis ont progressé de 5 %, en valeur, à 3,8 milliards d’euros soutenues par la croissance des vins tranquilles (1,5 milliards d’euros, +14%). Les Etats-Unis ont consolidé leur position de première destination des vins et spiritueux français, totalisant près d’un quart de la valeur et 18% des volumes. L’an dernier 20 millions de caisses de vin (tranquilles et effervescents) sont parties outre-Atlantique (+10,5 %) pour une valeur de 2,3 milliards d’euros (+ 8,4%).