elon Charles Blanc, il n’y a aucun doute : travailler une petite surface, c’est faire le choix de la rentabilité. En 2006, lorsqu’il s’oriente vers ce modèle, il a repris depuis cinq ans déjà le Château Montplaisir, un vignoble de 12 ha situé à Prigonrieux, en Dordogne. « Les débuts ont été très compliqués, se souvient-il. L’année où je me suis installé, les cours ont chuté alors qu’on vendait plus des trois quarts de notre production au négoce. Puis on a eu des aléas climatiques. On travaillait certaines parcelles à perte. »
En 2006, il revoit toute sa stratégie et décide de tout vendre en bouteilles, diversifier son encépagement et se convertir au bio. « La structure cohérente pour moi, c’est 5-6 hectares », indique le vigneron, qui produit désormais 20 000 cols par an de Bergerac rouge et blanc, d’IGP Périgord et de Rosette, un moelleux confidentiel, pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 110 000 €.
Charles Blanc investit alors considérablement pour appuyer sa réorientation. Il dépense 76 000 € pour installer un nouveau chai de stockage, une nouvelle cuverie et du matériel. À cela s’ajoutent 35 000 € consacrés à l’arrachage des 12 ha, suivis de la replantation de 6,2 ha. « Je me suis fait beaucoup aider par la famille et les amis pour arracher les cinq premiers hectares. Pour les sept derniers, j’ai fait appel à une Cuma, qui ne m’a pris que 700 €/ha. Et j’ai bénéficié d’aides à la restructuration. »
Le vigneron cultive aujourd’hui treize cépages, alors qu’il n’avait au départ que du merlot et du sauvignon. Malgré des années climatiquement compliquées et les emprunts à rembourser, il peut actuellement se verser 1 000 euros par mois. « Depuis que j’ai commencé, c’est mon meilleur salaire », glisse-t-il.
Pierrick Le Gorrec a lui aussi opéré une réduction de surface depuis son installation en 2011, dans le Jura, passant de 6 ha à 3 ha. « Je n’ai gardé que les vignes mécanisables et en bon état », explique cet adhérent de la fruitière vinicole de Voiteur. Adieu les vignes aux rendements inférieurs à 30 hl/ha. « Aujourd’hui, j’ai une petite surface en bio dont je m’occupe correctement. J’ai les mêmes rendements que les conventionnels, avec une moyenne de 45 hl/ha. J’ai trois mois de pause, de mi-octobre à mi-janvier, durant lesquels je rénove ma maison et je bricole. Le reste du temps, je travaille du lundi au samedi pour le domaine. »
Ces stratégies axées sur de petites surfaces ne peuvent fonctionner qu’à deux conditions : avoir peu de frais, et bien valoriser la production. Concernant les charges, la petite surface permet naturellement d’économiser sur la main-d’œuvre, l’essentiel des travaux étant réalisés par le vigneron lui-même.
En Dordogne, Charles Blanc gère seul tous les travaux. À ce titre, la diversité de son encépagement lui permet de s’organiser. « Je n’ai pas à faire tout en même temps », indique-t-il. Le vigneron n’a pas pour autant cherché à réduire ses travaux manuels. Au contraire, il a « démécanisé ». « À la place du rognage, j’enroule les rameaux sur le fil du haut. J’ai observé que les nombreux passages en tracteurs étaient néfastes à mes sols. De plus, le travail est mieux fait à la main. Et cela limite les frais d’entretien et de réparation du matériel. » En tout, il ne réalise que sept passages de tracteur par campagne. Et il utilise un quad pour effectuer les traitements. Il fait simplement appel à une association d’insertion lors des vendanges, manuelles. « Je paie 12 €/h par saisonnier, tout compris. Généralement, nous sommes huit à dix, moi compris. »
Dans le Jura, Pierrick Le Gorrec réalise un chiffre d’affaires de 85 000 €/an, pour seulement 25 000 € de charges, étant au régime micro-BA. Pour ce qui est de réduire le coût de la main-d’œuvre sur les 2 ha qu’il vendange manuellement, il a son astuce. « Avec ma compagne, nous effeuillons au préalable. Du coup, les saisonniers vont deux fois plus vite. Nous vendangeons les deux hectares en deux jours et demi, à une douzaine de personnes, dont trois à quatre aides familiales. »
Concernant la valorisation, il précise qu’il est payé en moyenne 700 €/hl pour ses Château-Chalon et Côtes du Jura, un prix 30 % supérieur à celui des conventionnels. De son côté, Charles Blanc a arrêté en 2019 le bag-in-box et le rosé. Désormais, ses prix s’échelonnent de 10 à 24 € au caveau. « Je vends essentiellement à la restauration et au domaine, détaille-t-il. Je suis à 5 km de Bergerac. J’ai donc beaucoup de passage. »
En Gironde, à Mazères, Jean-Bernard Mussotte, propriétaire du Château Cailleton, témoigne d’un parcours un peu différent. En 2022, il est passé de 5 à 8 ha en récupérant 3 ha de fermage, de façon à produire du blanc et proposer un deuxième rouge. Depuis, il a multiplié par deux ses ventes de bouteilles. Mais il réfléchit à revenir à l’ancienne taille de son domaine. « Mes 4,8 ha, c’était idéal pour moi car j’étais autonome, rapporte-t-il. À présent, je dois faire appel à une entreprise pour assurer tous les travaux en vert. » Dès que le demi-hectare de blanc qu’il a planté en 2023 produira pleinement, il envisage donc de lâcher ses 3 ha de fermage.
Dans l’Hérault, Franck Avéla, qui s’est installé en 2002 sur 4 ha à Quarante, produit 4 000 bouteilles d’une unique cuvée qu’il vend 60 €/col. « Je suis sur un marché de niche qui s’est constitué petit à petit, prévient celui qui a toujours voulu travailler sur un petit domaine. Cela fait vingt-trois ans que le domaine existe, et ce n’est que depuis une dizaine d’années que ça tourne, économiquement. » Afin de monter son réseau, cet ancien artisan a présenté son vin à des sommeliers. « C’est un milieu assez fermé mais ils communiquent beaucoup entre eux, assure-t-il. Une fois que le produit est reconnu, cela se transmet de bouche à oreille. »
Jean-Bernard Mussotte, en Gironde « Afin de développer la vente au domaine, je me suis mis à l’anglais. J’ai commencé il y a un an et demi avec une application mobile. Je vais également prendre 60 heures de cours individuels grâce à mon compte CPF. J’ai déjà suivi une formation sur le langage viticole en anglais. Cela m’a permis de mettre des mots sur une dégustation, ou d’envoyer des e-mails en anglais. » Pierrick Le Gorrec, dans le Jura : « Quand je me suis lancé en 2011, j’ai suivi une formation en soudure car je voulais être capable de fabriquer des outils. J’ai commencé par réaliser mon semoir, en réduisant la largeur d’un semoir agricole que j’avais payé 200 €. Cela m’a pris deux semaines. Ensuite, j’ai fait pareil avec un Rolofaca que j’ai acheté 50 €. Pour la suspension du pulvérisateur, j’ai juste acheté pour 150 € de pièces. Après avoir dessiné plusieurs plans, la réalisation m’a pris deux jours de travail, comme pour le Rolofaca. J’ai aussi créé des outils que je n’utilise finalement pas, comme un ramasse-sarments ou une charrue à disque, car mes essais n’ont pas été concluants. Je bricole en hiver, quand je ne vais pas à la vigne. »