n 2023, l’interprofession des vins du Duras et de Bergerac publiait une étude comparative portant sur les coûts de production et la rentabilité des domaines bio et conventionnels, en se basant sur leurs résultats de 2015 à 2021. Il en résultait qu’un vigneron bio en vente directe dégageait un revenu disponible de 33 000 €/UTHF (unité de travail humain familiale), alors qu’un conventionnel, en vente directe également, n’obtenait que 23 500 €/UTHF. Ces temps bien meilleurs pour les bios que pour les conventionnels seraient-ils révolus ? Les dernières données de la commission des comptes de l’agriculture de la nation (CCAN) le laissent entendre.
À la fin de 2024, cet organisme qui dépend du ministère de l’Agriculture a publié les résultats des exploitations agricoles françaises en 2023. Dans le cas de la viticulture, presque tous les indicateurs sont en baisse. Pour apprécier la rentabilité d’une exploitation, la CCAN s’intéresse à l’excédent brut d’exploitation (EBE) par équivalent temps plein non salarié. Or, en 2023, ce résultat s’élève à 91 500 € chez les conventionnels, contre 66 000 € pour les bios, alors qu’il était en faveur des bios jusqu’en 2021 (soit 84 413 € en 2020 et 78 074 € en 2021 chez les bios vs 61 956 € et 73 373 € chez les conventionnels). C’est depuis 2022 que cet écart en faveur de la viticulture conventionnelle se creuse. Des chiffres peu connus sur le terrain, où l’on observe les difficultés que connaissent les bios ces derniers temps.
Selon Arthur Gaubey, conseiller d’entreprise à la chambre d’agriculture de la Gironde, « les bios enregistrent à la fois une baisse des rendements et une hausse des coûts de production, mais ils restent rentables même si leur rentabilité a baissé, comme celle des domaines conventionnels, d’ailleurs. Historiquement, on avait une grande différence de rendement entre les conventionnels et les bios. Mais cette différence s’est réduite ».
« C’est vraiment le rendement qui est au cœur de la rentabilité des vignerons bio, complète Guillaume Gastaldi, responsable du pôle viticulture à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. Pour les vins bio, il y a un léger surcoût de production à l’hectare mais il n’est pas très important. À rendement égal, ce surcoût est de 5 à 7 centimes par bouteille. Avec un rendement de 55 hl/ha, le coût du raisin dans une bouteille de vin rouge conventionnel est de 1,54 €, et de 1,60 € en bio. L’enjeu est donc d’obtenir de bons rendements en bio, ce qui n’est pas le cas, en moyenne, depuis 2022. »
Or, une baisse de 1 hl/ha engendre une augmentation de 2 % des coûts de production à l’hectolitre. Outre une bonne maîtrise de l’itinéraire technique, le conseiller recommande aux vignerons bio de choisir un matériel végétal productif, quitte à le freiner ensuite avec de l’enherbement. « La vente directe permet une valorisation des bouteilles meilleure d’environ 30 % mais pour le vrac, il n’y a plus de marché en bio, donc plus de valorisation », déplore-t-il.
« Le bio fait partie d’un ensemble d’arguments qui permettent de valoriser une production, comme le fait d’être dynamique, de parler anglais, d’avoir une communication pertinente, etc., souligne Karl-Frédéric Reuter, consultant et formateur AOC Conseils pour le Val de Loire, qui accompagne une vingtaine de domaines dont 50 % sont en bio ou en conversion. Les domaines bio sont encore rentables dans la Loire. Pour décrocher des marchés chez les cavistes, être en bio est même un prérequis. Pendant la phase de conversion, il faut absolument trouver le temps de prospecter afin d’avoir des acheteurs dès la première année de certification. »
Ce que confirme François Garcia, vigneron bio dans l’Hérault et administrateur à Sud Vin Bio. « Avant de passer au bio, il faut s’assurer d’avoir un marché ou un contrat à l’issue de la conversion, sinon on se prend un mur ! »
Pour l’instant, malgré les difficultés de production ou de commercialisation, le nombre de déconversions reste limité. En revanche, les conversions sont en baisse, du fait du dérèglement climatique et de l’effondrement du marché du vrac en bio. « Le moral est moyen chez les bios, comme chez les vignerons conventionnels, témoigne Guillaume Gastaldi. Certains sont découragés de constater qu’ils travaillent plus avec une rémunération parfois plus faible. Mais c’est une petite frange qui doute. La grande majorité des vignerons bio reste motivés et n’envisagent pas d’arrêter. Il y a encore une clientèle particulière qui est à la recherche de vin bio ! »