lue cave coopérative de l’année par la Revue du Vin de France, l’union coopérative Tutiac (500 viticulteurs pour 5 000 hectares de vignes en Gironde et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires) semble être au centre des attentions des juridictions bordelaises avec une journée judiciaire chargée ce jeudi 6 février : entre une audience devant le tribunal administratif le matin pour des autorisations de phytos et une procédure au tribunal judiciaire l’après-midi. Absente devant la juridiction administrative le matin pour défendre sa filiale Gritche (voir encadré), le premier producteur français de vin AOC était présent en force devant la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux avec une petite dizaine d’adhérents et de présidents venus écouter l’audience déclenchée par la plainte pour diffamation de Tutiac et de son président, Stéphane Héraud, suite à la diffusion ce jeudi 14 décembre sur France 2 du numéro de Complément d’enquête à 23h (intitulé"Bordeaux, champagne : quand les escrocs s’attaquent à nos bouteilles !") et d’extraits au journal télévisé de 13h (intitulé "Quand les escrocs s’attaquent à nos bouteilles")
Ces reportages reliant la responsabilité de la cave de Tutiac à une fraude massive aux vins d’Espagne (130 camions citernes pour 34 587 hectolitres de vin francisés entre 2014 et 2016 pour plus d’un million d’euros de bénéfices) réalisée par le directeur de l’une des filiales de Tutiac, le négoce Cellier Vinicole du Blayais, dirigé par le courtier Michel Gilin (condamné en première instance et faisant appel). Déception pour les supporters de Tutiac, l’audience n’a pas porté sur le fond du dossier, la juridiction pénale décidant de statuer le 6 mars prochain sur les fins de nullité soulevées par l’avocat de France Télévisions, maître Louis-Marie de Roux, qui défend la présidente de France Télévisions poursuivie comme directrice de Publication (Delphine Ernotte Cunci), la voix off du journal de 13h (la journaliste Cécile de la Guerivière), le présentateur de Complément d’Enquête à 23h (le journaliste Tristan Waleckx) et l’auteur de l’enquête (le journaliste Dominique Mesmin).


Plaidant ses conclusions aux fin de nullité, maître Louis-Marie de Roux réfute toute chicanerie procédurale pour « multiplier les incidents artificiels » et égrène un « chapelet de nullités » allant d’irrégularités sur la rédaction de l’acte de citation directe à des « imprécisions sur le support de poursuite (diffusion TV ou replay sur le web) et les passages poursuivis » trop nombreux et longs ne permettant pas d’assurer les droits de la défense pour l’avocat de France Télévisions, qui reproche à son confrère la reprise de l’intégralité des propos portant sur le segment des vins francisés. « La diffamation doit concerner des faits précis, portants atteinte à l’honneur et à la considération, susceptibles de faire l’objet d’un débat contradictoire. On doit savoir exactement ce qui est reproché » développe l’avocat, pour qui « ce qui a été très audacieux, et singulier, de la part de mon confrère, qui s’est pris les pieds dans le tapis, c’est d’avoir semblé incriminer quantité de passages. Habituellement, il y a une, deux, trois phrases, avec une très grande économie et minutie. On ne prend pas des filets dérivants pour une émission que l’on sait sérieuse, qui n’a pas eu une condamnation sur ce programme, qui est souvent attaquée. Et j’en sais quelque chose. » Le mot de « procédure-bâillon » étant lâché.
Réplique
Regardant ostensiblement sa montre pendant la grosse demi-heure de plaidoirie de son confrère, le représentant de Tutiac*, maître Denis Borgia est cinglant : « je regrette que France Télévisions se sente victime de poursuites en diffamation. Il y a peut-être une raison derrière ça… » Pour l’avocat parisien, toutes les fins de nullité soulevées sont nulles et non avenues : « la messe est dite » répète la défense de la partie civile, défendant ses actes et sa logique de prendre les reportages dans leur longueur pour en garder « l’impression » faite sur le spectateur. « On nous reproche d’être trop précis et d’en devenir imprécis » tacle maître Denis Borgia, répondant aux critiques sur le nombre d’éléments remis en cause : « ce n’est pas de la faute des parties civiles s’ils ont mis un paquet de diffamation ».
Et d’ajouter : « mon confrère me dit que c’est compliqué de se défendre [face à la longueur des phrases relevées]. Oui, vous allez voir quand on verra le fond qu’il est difficile de se défendre tellement la diffamation est évidente. Il n’y a rien à dire. » L’avocat citant pêle-mêle des passages comme « Tutiac est impliqué dans le plus grand scandale viticole connu », ou « Stéphane Héraud se sauvait comme s’il avait quelque chose à se reprocher », ou « Tutiac a fraudé, participé à la fraude et il est curieux qu’ils n’aient pas été poursuivis, on ne sait quelle force divine faisant que l’on ne touche pas au monde vitivinicole à Bordeaux ».
Rendez-vous le 6 mars
Si le ministère public souhaite joindre les conclusions de nullité au fond, le président de la quatrième chambre décide d’étudier ces éléments et d’annoncer un jugement pour le 6 mars 2025.
* : Stéphane Héraud n’étant pas représenté par un avocat.
Pour les amateurs de science-fiction, le gritche est une créature d'Hypérion (cycle littéraire de Dan Simmons). Pour les viticulteurs bordelais, c’est le nom d’une SARL fournissant des phytos. Pour la coopérative Tutiac, c’est une filiale de diversification avec la vente de fournitures et phytos. Pour la quatrième chambre du tribunal administratif de Bordeaux, c’était le sujet de six dossiers de recours contre des décisions 2023 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) ayant refusé des permis de commerce parallèle en France pour des matières actives autorisés dans d’autres pays européens (fongicides, herbicides…) faute d’informations suffisantes (de la part de Gritche ou des Etats Membres concernés). Absentes pour se défendre, la coopérative Tutiac et sa filiale ne souhaitent pas commenter.