Mon intime conviction, c’est que LVMH a pour but d’arrêter la présence de bouteilles chez Lidl en nous asphyxiant [les fournisseurs parallèles] » lance Samuel Praicheux, comparaissant ce lundi 20 janvier comme gérant du négoce Simizy (basé en Gironde et en liquidation depuis septembre 2024) devant la quatrième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux pour la plainte du 9 juin 2016 des cognacs JAS Hennessy et des champagnes MHCS (Dom Pérignon, Krug, Mercier, Moët & Chandon, Ruinart et Veuve Clicquot Ponsardin) pour importation parallèle et sans autorisation de leurs marques* (appartenant au groupe LVMH). Si ce sont les 1 500 bouteilles de Dom Pérignon 2004 mises en vente à 129 € lors de la foire aux vins 2016 de l’enseigne qui ont déclenché cette affaire au pénal (après une enquête privée, puis l’action de la gendarmerie et des condamnations civiles), l’activité sur le marché parallèle du trader Simizy représente un chiffre d’affaires de 3,7 millions € sur les marques de Moët Hennessy entre 2014 et 2017.
Une activité de grossiste, sous la marque commerciale the Spirits Company, qui conduit dans ses réquisitions la procureure Perrine Lannelongue à requérir contre Simizy une amende de 30 000 € et contre Samuel Praicheux 5 mois d’emprisonnement intégralement assortis du sursis simple, avec 20 000 € d’amende (dont 10 000 € assortis du sursis simple) et une interdiction de gérer pendant trois ans (pouvant être circonscrite à l’activité de négoce international d’alcools). Pour le ministère public il n’y a pas de doute : le négociant a pratiqué sciemment des pratiques commerciales illicites en s’approvisionnant notamment en caisses et bouteilles de vins et spiritueux destinés à des marchés extra-communautaires pour les revendre en France sans autorisation des détenteurs des marques et à des prix bradés. Grâce au décodage des lots, ce qui doit les rendre intraçables quand des prix inhabituels sortent.


« Samuel Praicheux évoque dans des mails la dangerosité de ces pratiques et les contrôles des marques. C’est son choix de prendre le risque de vendre ces bouteilles » estime la procureure Perrine Lannelongue, qui l’illustre par les 1 500 bouteilles de Dom Pérignon 2004. Un lot destiné à la Turquie qui a été acquis via un client anglais, a transité dans un entrepôt en suspension de douanes aux Pays-Bas avant d’être vendu à un négoce français, basé à Bordeaux. Expliquant ne pas avoir su que les bouteilles n’étaient pas originaires du marché britannique, Samuel Praicheux ajoute que leur destination sur le marché français lui était aussi inconnue (« dans le commerce, les intermédiaires ne disent pas à qui ils vendent » pour garder leur business). « Il est facile de dire que ce n’était pas su, pas vérifié. C’est pratique de ne pas être au courant pour ne pas avoir de reproche. Mais c’est à Samuel Praicheux de s’assurer que c’est réalisé dans les règles » tranche le ministère public.
Les enquêteurs s’appuient sur « la capture d’écran de MHCS pour dire [que ces champagnes Dom Pérignon] ne sont pas originaires de l’Union Européenne. C’est facile de marquer un truc sur une image, je peux le faire aussi, il n’y a pas eu de contrôle du système de traçabilité de LVMH » réplique vertement Samuel Fraicheux, se défendant d’avoir connu la destination turque des bouteilles incriminées. « Il n’y a pas eu d’investigations sur la mention d’origine de Turquie et pas de provenance du Royaume-Uni » plaide maître Fanny Langlois, la défense de Samuel Praicheux, dont elle demande la relaxe. L’avocate parisienne veut dégonfler le dossier qu’elle estime grossi par LVMH après ses procédures civiles en France et aux Pays-Bas.


« LVMH me traite de bandit » peste Samuel Praicheux, qui se défend de toute pratique illicite. Aux messages reçus pour lui proposer des alcools sans code ou aux mails de sa main demandant des tarifs de bouteilles décodées à des fournisseurs ou en proposant à des clients, le trader réplique que « ce n’est pas parce que dans la rue on vous propose de la drogue que vous en vendez ». Pour lui il s’agit de veille concurrentielle et aucune vente physique n’a suivi ces contacts numériques. « Nous avons analysé sérieusement les pièces : il n’y a ni factures, ni e-mails saisis, ni témoignages qui permettent d’affirmer la commercialisations de marchandises altérées. Aucune facture ne fait mention de bouteilles décodées » plaide Fanny Langlois, pour qui « le tribunal appréciera si le fait de proposer des produits décodés sans aucune preuve de vente est une infraction. » Comme l’ont fait remarquer le président et ses assesseurs, proposer à la vente des produits que l’on ne souhaite pas commercialiser reste une stratégie commerciale étonnante.
Intervenant pour Hennessy et MHCS, maître Frédéric Dumont rapporte que dans le langage du marché parallèle, la mention "decoded" signifie "bouteille décodée" et que cela explique qu’il faille préciser "carton décodé" quand seul ce packaging est concerné. Pour l’avocat des parties civiles, il n’y a pas de doute sur la matérialité des infractions : « nous sommes face à un système très sophistiqué d’importation parallèle de produits par moyen de décodage » et « l’enquête privée de mes clientes et l’enquête très détaillée de la gendarmerie Bordeaux (écoutes, saisies factures…) en apportent la caractérisation absolue ». Avançant que les entrepôts néerlandais utilisés par Simizy sont équipés de meules pour décoder les bouteilles, l’avocat parisien demande des condamnations solidaires de 500 000 € pour les deux prévenus au bénéfice de ses deux clientes, ainsi que l’interdiction pour Samuel Praicheux d’exercer une activité professionnelle dans le commerce des boissons. « M. Praicheux créé et liquide les sociétés au gré des évènements et il a tendance à la récidive » cingle Frédéric Dumont, évoquant de récentes offres de vente de Moët & Chandon et de Ruinart à moins de 30 € la bouteille.
Praicheux pour sa paroisse
Face aux conclusions de LVMH, Samuel Praicheux défend la légalité de son action : « parallèle n’est pas un gros mot. Je ne suis pas un trafiquant. Nous n’achetions pas à Moët Hennessy, mais à des grossistes pour le revendre ailleurs. C’est la libre circulation des marchandises sur le marché européen. » Estimant que le dossier d’enquête et les demandes de LVMH sont bourrés « d’incohérence », il rejette l’idée d’être à l’origine d’une « fraude sophistiquée à échelle industrielle » : « LVMH veut faire de moi le Pablo Escobar des vins et spiritueux ! » Pour sa défense, maître Fanny Langlois plaide qu'il est « inédit » que des « parties civiles demandent une peine complémentaire » avec l’interdiction d’exercer : « c’est une mise à mort professionnelle. Les sociétés de LVMH veulent stopper net ses activités. Si ses activités frauduleuses se poursuivent : pourquoi n’y-a-t-il pas eu dépôt de plainte ? » L’avocate assénant qu’au final « nous sommes sur un litige civil, où la contrefaçon a été jugée » (avec une condamnation de 88 000 € par la cour d'appel de Paris le 23 novembre 2021) et le « dossier aurait dû en rester là. Il n’y a rien à faire devant la juridiction pénale. »
Pour en juger, la quatrième chambre rendra son délibéré ce 10 mars.
* : Précisément, les chefs d’accusation sont entre 2014 et 2017 l’exposition, la vente ou la détention dans des locaux professionnels de marchandise dont l’identification est altérée ; la suppression d’une marque régulière sans l’autorisation de son propriétaire pour contrefaçon ; l’importation à des fins commerciales de marchandise présentée sous une marque contrefaisante.