epuis 2018, Jérémy Brun et Frédéric Labatut ont eu le temps de devenir procéduriers. Ayant racheté 2 hectares de vignes sur la commune de Galgon (Gironde) en 2017 pour créer leur domaine du Carrelet (sis à Saillans), les deux vignerons se bougent pour alerter les autorités sur les dégâts que causent sur leurs parcelles 5 hectares de vignes laissées en friche depuis six ans par le château Chabiran, racheté en 2013 par le groupe chinois Haichang (propriété du milliardaire Naijie Qu). Faisant partie des 9 châteaux confisqués pour détournement et blanchiment de 30 millions € en mai 2024, la propriété exploitée en fermage par le château Branda n’a pas donné suite aux sollicitations de Vitisphere à date de publication, mais dont un proche certifiait à Vitisphere que les vignes étaient taillées et entretenues, n’étant « pas du tout à l’abandon ».
Ce que conteste le domaine du Carrelet, photos à l’appui (voir ci-dessous). Voyant leurs rendements plombés jusqu’à 60 % par le mildiou ou le botrytis* pullulant dans les vignes voisines, Jérémy Brun et Frédéric Labatut ont multiplié les actions : ils ont écrit au président de la République, aux premiers ministres et ministres de l’Agriculture successifs, ils ont sollicité la préfecture, ils ont interpelé le greffe de Libourne, le parquet national financier… Et ils ont tenu leur première une conférence de presse ce jeudi 12 décembre avec un objectif : obtenir l’arrachage administratif par la préfecture de Gironde.


Si cette décision est très rarement prise par les préfets, Jérémy Brun pointe que les éléments justifiant des friches existent depuis longtemps, la Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles (FREDON) ayant acté l’abandon des vignes en 2020, et que la Direction Régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt Nouvelle-Aquitaine (DRAAF) a envoyé des courriers demandant de mettre en l’état les vignes. Faute de réponse, la situation est bloquée peste Frédéric Labatut, qui regrette que l’administration ne loupe pas les vignerons au moindre écart, mais n’agisse pas face aux vignes abandonnées. « Tout le monde se renvoie la balle, sans pouvoir faire avancer les choses » constate Jérémy Brun, qui ne veut plus attendre une future loi encadrant davantage les friches, mais que la préfecture utilise les transactions pénales de 5 000 € pour les vignes en friche (une amende pour les vignes non cultivées qui a déjà de premiers effets positifs). Contactée sur le dossier château Chabiran contre domaine du Carrelet, la préfecture de Gironde précise ne pas pouvoir communiquer concernant des dossiers particuliers.


« Je comprends les petits vignerons en difficulté qui ne peuvent pas entretenir leurs vignes, mais là, ils ont les moyens [d’arracher], ayant d’autres propriétés entretenues » précise Jérémy Brun, estimant que 12 à 15 ha de vignes sont à l’abandon sur toute la commune de Galgon. Le vigneron aurait souhaité une action collective pour faire bouger les lignes, notamment en bénéficiant d’avocat de l’interprofession (CIVB) ou des syndicats AOC (FGVB). L’angle judiciaire du trouble anormal de voisinage aurait pu être travaillé par un conseil juridique, mais le vigneron estime qu’il n’a pas à engager des frais seuls alors que les choses durent depuis des années et que les coûts sont déjà importants pour la propriété (pertes de récolte et traitements supplémentaires sur les vignes). « Heureusement, on ne vit pas de ça » glisse Jérémy Brun, en fin de contrat avec la marine nationale, qui veut désormais que l’exploitation devienne viable économiquement pour se projeter.
En interpelant la presse et les autorités, « on veut faire bouger les lignes » plaide Frédéric Labatut, qui estime que la mairie de Galgon devrait aussi intervenir : « des vignes en friches touchent des maisons d’habitation récentes. Il peut y avoir des risques d’incendie. Nous sommes trop petits pour nous battre seuls. Il nous faut de l’aide. » Dans le cadre légal, l’idée de passer un coup de désherbant pour dévitaliser les vignes abandonnées n’étant pas envisageable pour les vignerons. Procéduriers, mais pas têtes brulées.
* : Mais pas la flavescence dorée, qui n’a pas été détectée dans les vignes abandonnées (cette maladie de quarantaine pouvant imposer l’arrachage).
Des arbres poussent même dans les vignes abandonnées, mais on ne peut parler d’agroforesterie grince Jérémy Brun.