oulevant des questions pointues de droit des indications géographiques et des marques vitivinicoles, ce combat judiciaire était une question d’honneur familial pour Pascale Peyronie, à la tête des domaines Peyronie (basés au château Fonbadet, Pauillac), qui annonce dans un communiqué que « la justice a validé l'utilisation des marques château Pauillac et château Haut-Pauillac ». Deux marques déposées auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) dans les années 2000 (respectivement novembre 2001 et novembre 2009), par son défunt père, Pierre Peyronie, disparu en décembre 2018. Deux marques qui ont reçu une mise en demeure en octobre 2017 ont été attaquées en juin 2018 par l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) et le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB) sur les fondements de « déceptivité et appropriation illicite d’une appellation d’origine » ayant des buts « frauduleux et trompeurs ». Deux marques annulées le 23 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux prononçant leur nullité.
Ainsi qu’une troisième marque : "Harmonie de Château Pauillac" déposée en décembre 2017, qui n’est pas évoquée dans le communiqué des domaines Peyronie, son interdiction ayant été confirmée par la première chambre civile de la cour d’appel de Bordeaux ce 8 octobre. Si le jugement de deuxième instance maintient l’interdiction de la marque "Harmonie de Château Pauillac", c’est sur un nouveau fondement, la cour d’appel renversant le dispositif de première instance à plus d’une occasion. Désormais, la marque "Harmonie de Château Pauillac" est frappée de nullité « pour absence de distinctivité engendrant un risque de confusion avec les marques “L’Harmonie de Fondabet” et “Harmonie de Pauillac” qui sont des marques purement commerciales, n’étant pas rattachées à un château ».
Non-rétroactivité de la loi Pacte
Plus fondamentalement, la cour d’appel valide la demande d’irrecevabilité des poursuites du CIVB et de l’INAO contre les marques "château Pauillac" et "château Haut-Pauillac" en faisant droit aux arguments des domaines Peyronie : la non-application de la rétroactivité de la loi Pacte, qui affirme que l’action en nullité de marque est imprescriptible, y compris rétroactivement. Mais avec une assignation en justice en juin 2018, antérieure à la loi Pacte de mai 2019, la cour d’appel prescrit la possibilité d’annuler le dépôt de marques. Ce qui a pour conséquence de faire appliquer le principe de la prescription quinquennale à la demande en nullité de marque pour déceptivité. Dans son délibéré, la juridiction relève un courrier de l’INAO en 2010 indiquant que l’institut réalise une veille des dépôts de marques pouvant concerner les appellations : pour la justice, l’INAO « connaissait en conséquence ou aurait dû connaître à compter de la publication de la marque “Château Haut Pauillac”, le 28 décembre 2001, les faits lui permettant d’agir, en sorte que son action en nullité de ladite marque exercée le 10 juillet 2018 est prescrite » car « l’INAO se devait d’agir au plus tard le 9 février 2015 ».
De quoi faire dire à l’INAO que la cour d’appel a jugé sur la forme et non le fond juridique : « notamment sur l’existence et la transmission des prétendus crus château Pauillac et château Haut-Pauillac*. La question du caractère attentatoire de ces marques à l’AOP Pauillac et à la communauté des producteurs de vins d’AOP Pauillac n’est donc pas étudiée par la Cour. » De quoi pondérer l’impact sur le doit vitivinicole de ce revirement de jurisprudence. « C’est plus un bel arrêt à étudier en première année de droit, où l’on apprend les grands principes d’application de la loi dans le temps et les règles de la prescription, qu’à décortiquer en séminaire de propriété intellectuelle ou de droit viticole » constate maître Alexandre Bienvenu, avocat bordelais spécialiste du droit viticole, qui loue « la finesse d’analyse du professeur Agostini [NDLA : conseil des domaines Peyronie] qui a trouvé la faille dans le jugement du tribunal ».


Forts de cette décision, les domaines Peyronie annoncent que « le château Pauillac va poursuivre sa production historique ». Pour l’INAO, « tant qu’une juridiction ne s’est pas prononcée sur le fond de ce dossier, une interrogation demeure sur la validité de ces marques et de leur usage par la SCEA Domaines Peyronie ». Mais la cour d’appel estime dans son délibéré que « l’action en déchéance visant de manière générale une utilisation devenue trompeuse d’une marque domaniale (château) ne saurait prospérer » car « c’est à bon droit que la SCEA objecte qu’elle a fait l’objet d’un contrôle de la DIRRECTE Nouvelle Aquitaine (directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) entre 2016 et 2018, soit postérieurement aux périodes litigieuses, sur saisine de l’INAO, qui n’a constaté aucune anomalie dans l’utilisation du terme “château” dans les marques “château Pauillac “ et “château Haut-Pauillac” ».
N'ayant pas reçu la notification du jugement d’appel cette fin novembre, l’INAO indique que le délai de pourvoi en cassation de deux mois ne court pas encore, l’institut précisant que la décision d’attaquer le jugement reste actuellement à l’étude. Mais l’INAO précise que le dossier pourrait connaître d’autres développements judiciaires : « tout tiers habilité à défendre l’AOP, c’est-à-dire tout producteur de vin d’AOP Pauillac dont la demande ne serait pas prescrite et qui s’estimerait lésé par la situation, pourrait former de nouvelles demandes pour faire valoir le caractère illicite des marques château Pauillac et château Haut-Pauillac et de leur usage dans le cadre d’un nouveau procès. Par ailleurs, tout tiers pourrait introduire une demande devant l’INPI pour solliciter l’annulation de ces marques. »
* : L’INAO estime qu’en première instance « sur le fond, le tribunal a estimé que ni château Pauillac, ni château Haut-Pauillac ne constituaient des crus ou n’avaient de lien avec d’anciennes références figurant dans les guides Féret du 19e siècle et qu’il existait uniquement une maison d’habitation acquise par M. Peyronie en 1971. Le Tribunal a également relevé qu’aucune preuve d’usage continu de ces noms n’existait. Il en a notamment conclu que l’annonce de l’usage par les Domaines Peyronie d’une nouvelle marque Château Pauillac en 2015 et son usage ultérieur appropriaient privativement l’AOP Pauillac et n’étaient pas possible. » L’institut relève aussi que « le tribunal avait écarté l’argument de la prescription de l’annulation des marques en estimant que la loi Pacte disposait d’une portée rétroactive, même à l’encontre de prescriptions acquises ».