a Savoie va de nouveau produire peu de vin, quelles vont être les conséquences commerciales de ce manque d'approvisionnement ?
Christophe Richel : Comme pour tout le monde en France, nous avons une petite récolte. Mais comme nous sommes un petit vignoble, de 2 000 hectares, l'impact est immédiatement fort alors que les petites productions se succèdent. Notre dernière belle récolte remonte à 2018. En 2024, il y a eu une gelée de printemps, une pluviométrie importante? Nous n'avons pas encore de chiffres, mais avec les bruits de campagne évoquant -20 ou -50 % de production, les vins de Savoie visent 90 à 100 000 hectolitres, pas plus. Quand nous étions entre 115 et 120 000 hl dans les années fastes, nous sommes plus près des 100 000 hl ces dernières années (et nous sommes tombés à 83 000 hl en 2021 à cause du gel).
Nous avons de petits rendements et nos marchés se maintiennent, nous devrions manquer de vin en Savoie. Le manque devrait favoriser la valorisation, mais nous sommes dans une lutte pour valoriser nos produits. Certes nos prix de vente ont augmenté ces dernières années, mais pas nos marges qui se réduisent alors que l'on a plus de charges (bouteilles en verre, carton, bouchons?). En plus d'avoir ces contraintes économiques, nous avons des aléas climatiques qui réduisent nos productions et nos revenus. Les vignerons ne comptent pas leurs heures et ne les rémunèrent pas : ce n'est qu'à la fin du bal que l'on paie l'orchestre. Le cours du vin en vrac d'Apremont a remonté à 260-280 ?/hl, mais le coût de revient est 300-320 ?/hl. Sans pleurnicherie, nos Excédents Bruts d'Exploitation diminuent, avec des problèmes de trésorerie et des déficits chroniques. Notre seule solution, c'est de valoriser.
Quels sont les leviers de valorisation ? Le soutien du négoce, le développement de la demande ?
Avec la déconsommation, il faut gagner de nouveaux marchés comme on en perd, c'est une politique de la demande. L'export est très fluctuant, la seule chose qui sauve la viticulture c'est la vente directe. Malgré la perte de consommateurs, par la déconsommation et la perte d'intérêt pour le vin, nous avons toujours des visites dans nos caveaux et des ventes que nous pouvons valoriser. Nous devons pouvoir vendre plus de vin à 10-15 ?, les consommateurs sont conscients de nos difficultés. Nous sommes à bout de souffle économiquement.
La seule chose qui maintiendra la viticulture, c'est le tourisme et la vente directe sur place. Nous devons plus attirer par le biais de l'œnotourisme, en le professionnalisant par l'augmentation de la capacité d'accueil et en parlant des langues étrangères (au moins l'anglais). Nous devons être dans l'optique de travailler à la juste échelle de surfaces de vigne pour pouvoir accueillir les visiteurs qui veulent rencontrer le producteur. Nous devons être là pour la commercialisation, pas seulement pour le travail de la vigne. Cela demande de s'ouvrir, car ce n'est pas de la vente pure et simple, c'est une communication de notre savoir-faire. Mais il ne faut pas derrière que l'on nous casse du sucre sur le dos en laissant entendre que la consommation de vin est mauvaise pour la santé. Il faut que le vin soit une fierté nationale.
Est-ce une demande au premier ministre, Michel Barnier, qui est du cru ?
On avons cette chance, si on peut dire, d'avoir ce lien. Mais nous avons a déjà des députés et des sénateurs très à l'écoute. Nous faisons un appel du pied à Michel Barnier pour qu'il arrête la machine à détruire. Les vignerons prônent la modération, ils ne veulent pas faire boire pour saouler. Comme tout le reste dans la vie, c'est avec modération. La consommation modérée sauvera les vignerons pour autant que les personnes goûtent le vin et ne soient pas dégoûtés par le vin parce qu'on leur dit que le premier verre est dangereux pour la santé. Nos politiques sont entre deux chaises. Il faut clarifier. Les 20 à 25 ans sont la clientèle à cibler en leur faisant goûter le vin et en les éduquant à sa culture. Il faut garder cette culture du vin, sinon on risque de la perdre.