auvaise passe pour la pépinière viticole. Tout comme la viticulture, elle traverse une période extrêmement difficile. En Gironde, surtout. Dans ce département, les greffages réalisés cette année seraient en baisse « d’au moins 40 % », estime Delphine Bougès, présidente du syndicat des pépiniéristes viticulteurs de la Gironde et du Sud-Ouest. En cause : d’abord la crise économique qui touche les vignerons. Les pépiniéristes en subissent les répercussions avec des baisses voire des annulations de commandes, des impayés… Dès l’automne dernier, il était clair pour eux qu’il fallait réduire la voilure et greffer moins de plants pour 2025. D’autant plus que les forts cumuls d’eau ont empêché les vignerons de complanter en hiver. Ce qui a réduit d’autant les commandes.
Par la suite, les choses ne se sont pas arrangées. Toujours en raison des fortes pluies, bien des vignerons n’ont pas pu réaliser les plantations qu’ils avaient prévues au printemps ou au début de l’été. Les pépiniéristes se sont retrouvés avec de nouvelles annulations de commandes, parfois jusqu’à début juillet, pour des plants qu’ils avaient produits en 2023.
Certains d’entre eux ont appelé Delphine Bougès pour s’en alarmer. « Un confrère d’une petite structure m’a téléphoné, désemparé, pour m’annoncer qu’en trois jours, on lui avait décommandé 20 000 à 30 000 plants », rapporte-t-elle. Des abandons tardifs qui mettent en grande difficulté les pépiniéristes. « On a engagé des frais pour produire ces plants, qu’il a fallu repiquer en pépinière ou conserver au frigo, ce qui a engendré de nouveaux frais. »
En raison de toutes les annulations, le nombre de ces plants dits « reportés » s’annonce inédit dans le département et viendra alimenter l’offre pour 2025. Et la situation ne devrait pas s’arranger… « On a rayé des noms de notre fichier de clients : des vignerons qui partent à la retraite ou qui cessent leur activité avec l’arrachage, primé ou non », déplore Delphine Bougès. Mais elle ajoute, un brin optimiste, qu’il y a aussi des vignerons « qui rachètent des vignes et continuent d’investir ».
Son confrère Jean-Pierre Bouillac, gérant des pépinières du Vieux puits, à Reignac, en Gironde, confirme ces difficultés. « L’an passé, nous avions mis en terre 4 millions de plants, cette année c’était 3 millions, soit 25 % de moins. Le contexte viticole est désastreux. Entre les annulations du fait de la mévente des vins et celles liées à la mauvaise météo, nous avons dû reporter entre 20 et 30 % des plants que nous avions produits en 2023. Mis à part dans les sols filtrants, les viticulteurs n’ont pas pu complanter. Et les plantations n’ont pu se faire qu’à partir de la mi-juin. Depuis octobre dernier, il pleut sans cesse. Les viticulteurs n’ont pu préparer les sols qu’à partir de la deuxième quinzaine de juin en raison de cette pluviométrie exceptionnelle. Début juillet, nous avons encore livré des plants. À Bordeaux, les plantations tardives sont courantes mais à ce point, c’est du jamais vu. Ces plantations tardives vont être confrontées à la pression du mildiou. Et si les sols étaient humides au moment des mises en terre, il n’est pas exclu qu’il ait fallu arroser les plants par la suite. »
À Nercillac, en Charente, Robin Chollet n’a greffé qu’un peu moins d’un million de plants, contre 1,5 à 2 millions habituellement. Tout d’abord parce que du fait des intempéries survenues entre novembre et mars, il n’a pas pu arracher l’une de ses pépinières, d’environ 200 000 plants. Ensuite en raison des reports voire des annulations de commande liées à la météo ou à la crise économique. « J’ai maintenu globalement mes livraisons dans le Médoc mais je n’ai pas livré de plants en Côte de Bourg, ni en Côte de Bordeaux, rapporte le gérant des pépinières Chollet. Et pour Cognac, entre 40 000 et 50 000 plants me sont restés sur les bras. »
Dans le Sud-Est, les pépiniéristes se montrent également très prudents. En Ardèche, les pépinières Lauriol ne greffent plus qu’à la demande, soit autour de 800 000 plants cette année, un chiffre stable par rapport à l’an passé mais loin des 2 millions de plants qu’elles ont greffés avant le Covid. Toutefois, l’essentiel de leur activité reste la production de porte-greffes issus des 60 ha de vignes-mères de porte-greffe qu’elles possèdent. « L’automne dernier, des clients historiques, notamment à Bordeaux et Cognac, ont réduit leurs commandes voire n’ont pas commandé du tout, indique Cécile Lauriol. Heureusement, des clients dans d’autres régions nous en ont achetés davantage. Et nous avons trouvé de nouveaux débouchés. Nous avons donc réussi à vendre toute notre production de porte-greffes. » Mais pour les mois à venir, les choses s’annoncent plus compliquées. « Il faudra s’adapter et trouver de nouveaux marchés. »
Dans l’Aude, à Fanjeaux, alors qu’il greffe habituellement autour de 2 millions de plants, Olivier Calmet a cette année réduit de 13 % ses greffages. « Nous n’avons aucune visibilité. Les exploitants ont de gros soucis de trésorerie. Ils hésitent à planter et s’ils plantent, ils tergiversent sur le choix de la couleur, du cépage. Ils sont dans le flou. À cela s’ajoutent les incertitudes réglementaires. En 2025, nous arriverons au bout d’un plan triennal d’aide à la restructuration collective. Des négociations sont en cours pour de nouvelles aides. Mais si elles n’aboutissent pas, les vignerons auront du mal à planter et nous, pépiniéristes, ne saurons pas ce que nous devons greffer. »
Dans le Vaucluse, les pépinières du Comtat ont aussi réduit les greffages de 15 %. « Pour coller au plus juste à la demande des clients », note Jean-François Barnier, président de la structure.
Même les pépiniéristes septentrionaux ont réduit la voilure. « En Champagne, la baisse est de l’ordre de 10 %, rapporte Jean-Michel Dumont, président du syndicat des pépiniéristes de Champagne. Cela concerne tous les assemblages. On a dû repiquer entre 10 et 20 % de plants en pépinière, car les complantations n’ont pas pu se faire à cause du mauvais temps. »
En Alsace, où il ne reste plus que six pépiniéristes viticoles – contre dix il y a cinq ans –, Mireille Jenny-Stich, présidente du syndicat des pépiniéristes alsaciens, estime à 10 % la baisse des greffages. Au sein de sa propre pépinière, elle a maintenu sa production autour d’un million de plants car un voisin a cessé son activité. « Certes, on a constaté une chute de la demande pour le gewurztraminer, mais la baisse est générale et multifactorielle. La conjoncture viticole s’est dégradée, sans compter la pluie qui a compliqué et retardé les chantiers. Afin d’éviter un maximum d’annulations de commande, en juin – le seul moment où les vignerons pouvaient planter –, nous avons mis en relation nos clients avec une équipe de planteurs manuels. Malgré cela, certains clients ont dû annuler des chantiers car ils n’ont pas pu préparer les sols à temps, ou parce qu’ils estimaient qu’en juin, il était trop tard pour planter. » Mireille Jenny-Stich reste toutefois positive. « Il y a un vrai travail collectif réalisé par la filière viticole et pépinière pour passer outre cette crise. »
Pour la première fois, les pépinières Guillaume, à Charcenne, en Haute-Saône, ont aussi réduit leurs greffages, « de 10 % en raison des reports, indique Pierre-Marie Guillaume. Si nous avons manqué de blancs, on se retrouve avec des excédents en rouge : merlot, cabernet-sauvignon, cabernet franc et même de pinot noir ». Les temps changent.