L’explosion a soufflé la tôle d’un bâtiment, raconte Angélique Pierre, conseillère prévention à la MSA des Charentes. Cette fois-ci, le viticulteur en est sorti indemne. » Cet incident s’est produit dans une exploitation de Charente-Maritime, pendant les vendanges 2023. En cause, un mélange de soude et de peroxyde d’hydrogène (ou eau oxygénée). Le premier est un détergent, le second un désinfectant. Deux produits fréquemment utilisés dans les chais pour nettoyer les cuves et les pressoirs.
Mais tous les viticulteurs ne s’en sortent pas à si bon compte. L’an dernier, trois accidents dont deux graves, survenus en Charente-Maritime et en Gironde, ont poussé la MSA des Charentes à lancer une campagne de prévention concernant le risque chimique, intitulée « Ne jouez pas les apprentis chimistes ! »
Crédit photo : MSA
« À la suite de ces accidents, nous avons décidé de mener une enquête, explique Angélique Pierre. Nous nous sommes rendu compte que cette pratique était courante chez les vignerons, et que d’autres accidents aux personnes n’avaient été évités que parce que les salariés ne se trouvaient pas à côté du pulvérisateur lorsqu’il a explosé. »
« Lors de chaque accident, les circonstances sont similaires, indique la conseillère. Afin de nettoyer du matériel, un salarié mélange de la soude et du peroxyde d’hydrogène en fortes concentrations, dans un pulvérisateur en plastique. Puis il ferme son pulvérisateur et le met sous pression. Or ce mélange libère de l’oxygène, qui reste enfermé. En cas de surdosage des produits, les quantités d’oxygène sont telles que l’appareil explose sous l’effet de la pression. »
Autre facteur pouvant accélérer la réaction : la température. « Si le pulvérisateur reste en plein soleil par 30 °C, l’explosion peut se produire en quelques minutes, explique-t-elle. Nous avons eu le cas. Par chance, personne n’était à côté à ce moment-là. »
Lors des deux accidents graves qui se sont produits l’an dernier, le contenu du pulvérisateur a été projeté au visage et sur le corps de l’utilisateur, qui ne portait pas d’équipement de protection. « Ces projections ont occasionné de graves brûlures et des lésions oculaires, avec des séquelles irréversibles, raconte Angélique Pierre. Dans un des deux cas, la victime a également subi un traumatisme crânien provoqué par un éclat du pulvérisateur. »
Si les vignerons opèrent ce mélange, c’est pour gagner du temps et effectuer un nettoyage complet de leur matériel en un seul passage. Un mauvais calcul, selon Angélique Pierre, qui rappelle qu’il faut d’abord appliquer la soude puis le peroxyde d’hydrogène. « Après enquête, nous nous sommes aperçus que certains fournisseurs préconisent de mélanger ces deux produits ! Or ils fournissent des protocoles imprécis et vendent des pulvérisateurs qui ne tiennent pas la pression. Sans compter que souvent, les salariés ne sont pas formés et qu’ils ne connaissent pas les doses à respecter. »
Une réflexion partagée par Jessie Aldana. Cette consultante indépendante et toxicologue spécialisée est intervenue dans l’entreprise où l’un de ces accidents graves a eu lieu, dans le but de former les salariés au risque chimique. « Nous avons d’abord accompagné la MSA pour analyser les causes de l’accident », explique-t-elle. Puis, pendant une demi-journée, en binôme avec la MSA, Jessie Aldana a formé les salariés sur site. « Depuis l’accident, ils portaient les EPI car ils ont été choqués. Il fallait néanmoins reprendre les bases et les sensibiliser au risque. »
Pour ce faire, la formatrice a détaillé tous les produits chimiques présents dans l’entreprise. « Un par un, nous avons abordé les risques liés à leur utilisation, leurs effets sur la santé et les EPI adaptés. Nous avons ensuite revu les protocoles de préparation et d’application de ces produits, les situations de travail, et échangé sur les bonnes pratiques. Par exemple, nous sommes revenus sur l’accident en mélangeant du bicarbonate de soude, une base, et du vinaigre, un acide. Les participants ont pu constater par eux-mêmes qu’il se produit une réaction chimique et un dégagement gazeux après ce mélange et ainsi comprendre les causes de l’accident. »
L’employeur, lui, a fait le choix de ne pas participer à la formation. « Cela a permis de libérer la parole des salariés, apprécie Jessie Aldana. Ils étaient très impliqués et ont posé beaucoup de questions. »
Dans l’espoir d’enrayer la multiplication de ces accidents, la MSA est intervenue début septembre à l’UGVC, lors d’une réunion de prévendanges, afin de rappeler les risques liés à de telles utilisations des produits chimiques. Et pour parfaire sa campagne de prévention, des affiches sont mises à disposition auprès de certains distributeurs ainsi qu’une vidéo de sensibilisation, que l’on peut visionner via un QR-code. En espérant que ces rappels portent leurs fruits.