On ne peut pas tout faire seul. Ce serait trop lourd à gérer. » Vigneron et agriculteur près de Chinon, Nicolas Grosbois, qui cultive avec son frère Sylvain 44 ha dont 24 ha de vignes, est un adepte de l’entrepreneuriat en équipe. Il y a plus de dix ans, il s’est associé avec son ami Philippe Mesnier afin d’acheter le domaine des Hauts Baigneux, niché dans le vignoble de Touraine Azay-le-Rideau. Quelques années plus tard, en 2019, leur association prend un nouveau tour avec la création d’un groupement d’intérêt économique (GIE).
« Nous avons deux exploitations, ainsi que deux sociétés de négoce, soit quatre entités, explique Nicolas Grosbois. Nous avons créé le GIE dans le but de pouvoir faire travailler des salariés d’un domaine à l’autre. » Les deux vignobles, qui représentent au total une quarantaine d’hectares, sont distants d’une vingtaine de kilomètres. Ils sont tous deux en bio et en biodynamie. Bien que témoignant chacun d’une identité distincte, ils travaillent donc de manière similaire.
C’est sur les conseils de leur experte-comptable que les deux vignerons ont créé cette nouvelle entité, dénommée LD Le Pressoir, qui embauche désormais tous leurs salariés et détient une partie de leur matériel d’exploitation. « Nous avons 25 salariés, que nous avons répartis selon la taille de nos domaines : 60 % de l’effectif est affecté au domaine Grosbois et 40 % aux Hauts Baigneux, précise Philippe Mesnier. Nous avons transféré tous les contrats de travail dans le GIE, après l’accord de nos salariés et aux mêmes conditions qu’avant. Ils n’ont pas perdu en salaire. »
Un changement dont le vigneron se félicite. « Avant, on ne pouvait pas demander à un salarié de l’une des exploitations d’aller prêter main-forte à ceux de l’autre lors des pics de charge de travail, pour l’ébourgeonnage par exemple, ou en cas d’urgence, souligne-t-il. Désormais, c’est possible. Il reste qu’au quotidien, chacun d’entre eux travaille plutôt sur l’un des deux domaines. La première année, nous les basculions toute la saison d’un vignoble à l’autre, mais nous avons constaté qu’ils préféraient travailler leurs parcelles et aussi que le travail était mieux fait. »
En contrepartie, ce GIE nécessite une organisation sans faille. « Il fonctionne un peu comme un groupement d’employeurs : il facture les heures – salaires + frais administratifs – à chacun des domaines et il verse les salaires, commente Philippe Mesnier. Cela implique pour chaque salarié, sur chaque exploitation, un relevé d’heures rigoureux, supervisé par notre service administratif. Ce qui représente un coût de fonctionnement. De plus, le GIE doit toujours avoir au moins 60 jours de fonds de roulement. »
Côte management, les deux vignerons se sont bien réparti les rôles. « Philippe gère les salariés qui travaillent dans son chai, ceux au conditionnement et à l’habillage, et ceux du service comptabilité, administratif et commercial, détaille Nicolas Grosbois. Nous possédons en commun une chaîne de tirage et d’habillage. Le service comptabilité, administratif et commercial est commun également. De mon côté, je manage les employés au chai de mon exploitation et ceux affectés aux vignes de nos deux domaines. »
Nicolas Grosbois est aussi responsable des salariés de son exploitation agricole, où il élève des vaches Black Angus et des cochons de race locale avec son frère, et où il emploie un maraîcher pour produire des légumes et herbes aromatiques. De plus, il a ouvert sur son domaine un restaurant d’été, La Table du Pressoir. Une responsabilité supplémentaire.
C’est au sein de leur GIE que les deux vignerons gèrent, en toute logique, leurs recrutements et leur planning. « Nous prenons ensemble les décisions pour tous les postes, confie Philippe Mesnier. C’est important car nous sommes solidairement responsables des comptes du GIE, qui doit être à l’équilibre. » Et Nicolas Grosbois d’ajouter : « Nous organisons les tâches selon un plan annuel de travaux à la vigne et au chai ».
En plus des salariés, le GIE détient certains matériels viticoles, achetés depuis sa création : deux pulvérisateurs, et des outils de travail du sol. De leur côté, chacune des deux exploitations est restée propriétaire des matériels qu’elle avait acquis avant la création du GIE, et détient toute sa cuverie et tous ses équipements de chai.
« Nous décidons ensemble de nos achats d’engins pour le GIE, précisent les deux vignerons. Nous refacturons ensuite leur utilisation à chaque domaine, au prorata des heures de travail de chaque matériel. »
Pas question, cependant, que le GIE achète tous les matériels à l’avenir, car « un GIE n’est pas une exploitation agricole, ni une Cuma, relève Nicolas Grosbois. Il ne bénéficie pas des subventions prévues pour les exploitations ou les Cumas ».
Au-delà de la flexibilité qu’il procure dans l’organisation du travail, le GIE permet-il de réaliser des économies ? « Pas directement, répond Philippe Mesnier. Mais la traçabilité des heures de travail effectuées par chaque salarié sur nos différents sites nous aide à gagner en rentabilité, en analysant par exemple les statistiques de travaux de traitement pour telle parcelle, ou le temps passé pour étiqueter telle quantité de bouteilles. » « Avec le GIE, nous mutualisons les coûts et nous allégeons notre charge mentale », ajoute Nicolas Grosbois.
Autre point très important pour les deux vignerons : malgré leur association étroite, chacun garde son identité. « Philippe et moi-même sommes indépendants dans nos choix culturaux, commerciaux, souligne Nicolas Grosbois. Nous ne produisons pas les mêmes vins, n’avons pas la même histoire. Nous avons donc nos marchés, nos agents. Et chaque exploitation gère ses bénéfices et ses pertes. » « Nos deux domaines sont des entités distinctes, même si nous disposons d’un GIE et que nous partageons les mêmes pratiques en bio et biodynamie », conclut Philippe Mesnier.