a permaculture ? Pour Robin Jeudy, le responsable technique rive droite d’Antoine Moueix Propriétés (groupe AdVini), « la permaculture consiste à recréer un écosystème fonctionnel avec au centre la vigne, dans le but de produire des raisins aptes à faire de bons vins en quantité et qualité. En privilégiant la faune et la flore, on aide la vigne à produire en minimisant les impacts. » Mais demandez à des vignerons une définition de la permaculture et vous aurez autant de réponses différentes que de personnes sondées s’amuse Carmen Etcheverry, directrice de la durabilité, de la qualité et de la communication du groupe AdVini.
Aux grandes paroles, l’experte préfère les travaux pratiques pour commencer à mettre en application les principes de la permaculture au château Capet-Guillier (15 hectares en AOC Saint-Émilion Grand Cru, sous certification Haute Valeur Environnementale). Cherchant à « pousser les curseurs au maximum » comme le résume Carmen Etcheverry, une parcelle tardive de 20 ares est dédiée aux essais de permaculture avec comme premier axe de ne pas être mécanisée. N’étant plus exploitée depuis 2009 (pour son manque d’exposition, ses sols argileux froids et sa position enclavée dans des bois), cette parcelle a été replantée en 2021 en changeant les modalités classiques de la production de vin : plantation en échalas qui fait perdre d’entrée l’AOC, implantation suivant les lignes de la forêt pour respecter les trajectoires des animaux (sans suivre le principe de Keyline qui suit les courbes de niveau), instalation et paillage un inter-rang sur cinq, de plantes aromatiques (sauge, thym, romarin) et des arbustes à petits fruits formant des corridors transversaux…
Seule concession à la tradition : le recours à des cépages typiquement bordelais (merlot, cabernet sauvignon, carbernet franc et malbec*), mais plantés de manière aléatoire sur des porte-greffes également associés aléatoirement (fercal, 5BB et 420 A) avec seulement un tiers des ceps greffés soudés. Les ceps restants devant être greffés cet hiver 2024-2025. L’ensemble devant rentrer en production pour le millésime 2026 (en vin de France). Majorité d’hybrides producteurs directs oblige, la pression mildiou qui a fait des ravages sur la rive droit ce millésime 2024 n’a pas été particulièrement marquée sur cette parcelle aux deux-tiers résistante.
Prônant le « temps long de l’apprentissage » pour « essuyer les plâtres à petite échelle », Carmen Etcheverry prône avec cette parcelle une « approche exploratoire » pour « comprendre ce qui se passe » de manière pragmatique pour s’adapter selon les résultats et envisager des transferts. Sachant que les pratiques de ce vignoble ne « seront pas généralisables en l’état. On pourra prendre de bonnes pratiques et voir comment les transposer dans d’autres systèmes », notamment mécanisés, mais ayant également d’autres enjeux économiques.


Une critique sur la permaculture étant qu’elle marche quand on a un stagiaire pour absorber le surplus de travail et de coûts que cela engendre. Pour Robin Jeudy, cette parcelle « demande pas mal de travail au printemps, avec le paillage des plantes aromatiques et du cavaillon. On le fait en une grosse journée où l’on mobilise toutes les équipes du château. Y compris celles administratives. » Pas de stagiaires donc, mais des comptables pour le château Capet-Guillier. « Le reste de l’année, le travail est classique : pulvérisation à dos (passage tous les 15 jours selon les besoins avec bouillie bordelaise, soufre et tisanes), attachage et rognage… » liste Christophe Grenier, le directeur technique de la propriété. Ne se voulant pas dogmatique, « on ne s’interdit pas le fauchage selon les périodes et cycles des insectes » ajoute Robin Jeudy, les membres des équipes techniques ayant gagné en compétence sur les multiples facettes de la biodiversité dans les parcelles viticoles.
Suivant également un projet d’agroforesterie au Mas Neuf (vignobles Jeanjean, dans l’Hérault), Carmen Etcheverry note que si l’agriculture régénérative concentre les attentions sur la vie des sols avec une approche très mobilisatrice et consensuelle pour les techniciens et équipes, l’étape suivante est pour elle le travail sur la biodiversité avec des curseurs à pousser quitte à sortir des cahiers des charges, changer des modes de culture… Avec d'inévitables erreurs permettant d'avancer en apprentissage. Encore jeune, la parcelle d’essais a déjà appris à Robin Jeudy que la plantation aurait mérité un travail du sol : « si c’était à refaire, on le ferait différemment. Les racines partent surtout à l’horizontal. Nous voulions préserver les horizons du sol, mais cela freine l’implantation. L’idée serait de passer des dents pour ouvrir le sol et le décompacter sans déstructurer les horizons géologiques. »
Autre retour d’expérience : des trous réalisés à la perceuse dans les piquets de vigne en bois permettent d’accueillir nombre d’insectes (90 % sont occupés, à différentes tailles et hauteurs) rapporte Christophe Grenier, qui valide l’absence d’hôtels à insecte, très utiles pour la pédagogie, mais tenant plus de l’affichage en termes d’impact sur la biodiversité. Dans les allées de la parcelle se dégagent les odeurs des plantes aromatiques, accompagnés de terpènes qui doivent repousser certains ravageurs et attirer d’autres auxiliaires. Tenue sans confusion sexuelle, ni insecticide (la zone n’est pas placée en lutte obligatoire contre la flavescence dorée), la parcelle compte accueillir de nombreuses chauves-souris avec l’implantation de tipis pour y faire pousser du jasmin et donner des repères aux chiroptères dans leurs vols.
Des caméras de chasse permettent déjà de voir le passage de sangliers sur la parcelle et de chevreuils, sans autres dégâts que du paillage retourné rapporte Christophe Grenier. Reste à savoir s’ils continueront d’épargner les bourgeons et les baies, comme de nombreuses plantes sont à disposition avance prudemment Carmen Etcheverry, qui souligne la richesse de cette parcelle entre biodiversité cultivée (des vignes et essences d’arbres) et des auxiliaires (en ne bloquant pas les passages avec un palissage). Ne reste plus qu’à avoir les résultats dans la production de raisins et de vins : « je suis persuadé que la diversité des vignes se retrouvera dans les raisins et donnera plus de complexité aux vins » avance Robin Jeudy.
* : « Ce sont les cépages que l’on connait et qui ont une bonne capacité d’adaptation. Je ne suis pas convaincu que le changement climatique impose à court terme de changer tous les cépages bordelais » avance Christophe Grenier.
Tipi et vignes en échalas.