Quand nous faisons des essais au vignoble, nous poussons les curseurs au maximum sur une parcelle ou un site avant de l’appliquer à plus grande échelle » explique Louise Nicourt, chargée de développement durable pour AdVini.
Dans cet esprit, le groupe a décidé en 2021 de tester la permaculture sur une parcelle du château Capet-Guillier, en Saint-Emilion Grand Cru, et de mêler différents cépages conduits à haute densité en échalas à des arbres fruitiers et des haies arbustives. Cette vigne-jardin est totalement enherbée et travaillée à cheval.
Damien Guérande a pris peur quand il a appris l’année suivante qu’AdVini avait choisi Vic-la-Gardiole (34) et les 30 hectares du domaine du Mas Neuf pour se lancer dans la vitiforesterie. « Quand on m’a dit que j’allais devoir mettre des arbres dans les vignes, je n’ai pas été content, admet le responsable vigne et vin des vignobles Jeanjean. On m’a d’abord présenté un projet de diversification conçu par des étudiants de l’Institut Agro de Montpellier où la mécanisation était quasiment impossible. J’ai tout de suite pensé aux problèmes d’entretien et de budget » se souvient-il.
Prenant le taureau par les cornes, Damien Guérande s’est finalement formé à la vitiforesterie avec la chambre d’Agriculture de l’Hérault. L’idée a germé de faire rentrer de petits bosquets dans les parcelles qu’il prévoyait de replanter plutôt que d’y insérer des rangées d’arbres. « Un bosquet limite le linéaire d’entretien des arbres, facilite le passage des tracteurs et permet en plus d’intégrer au centre des essences de haut jet, comme des chênes et des micocouliers, sans concurrencer la vigne » explique-t-il aujourd’hui.
Damien Guérande a travaillé sur une vitiforesterie "inclusive", faisant rentrer le bosquet dans la vigne
Aidé par l’Inrae, Agroof et Paysarbre, Damien Guérande a peaufiné son schéma d’implantation, et choisi une trentaine d’essences locales adaptées au climat et florissant à des dates décalées, « pour favoriser la présence des pollinisateurs toute l’année ».


Pendant ce temps, les équipes d’AdVini et des stagiaires de l’Institut Agro ont réalisé des inventaires floristiques et faunistiques. Etudiante en viticulture-oenologie présente pour six mois au Mas Neuf, Sara Despalin fait actuellement analyser des échantillons de sols prélevés à des distances de 9 à 30 mètres des arbres. « Nous passons du temps à mettre en place différents indicateurs pour pouvoir mesurer l’impact de la vitiforesterie dans, 5, 10, ou 15 ans » témoigne Louise Nicourt.
Début 2023, Damien Guérande et ses trois salariés ont replanté 3 hectares de muscat sur deux îlots en laissant des espaces vides pour les futurs arbres. « Nous avions juste préparé les sols » relate-t-il. Le temps de commander 2 130 plants, le chantier forestier a été lancé en février dernier. « En plus des deux bosquets dans les deux îlots, nous avons planté deux haies pour connecter des vignes à la forêt voisine des Aresquiers et au bois de 6 ha présent au milieu de notre parcellaire. Nous avons aussi planté une troisième haie sur 400 mètres pour faire écran entre notre vignoble de celui du voisin conduit en conventionnel » détaille le responsable. Une rangée d’arbres isolés de 30 mètres a également été mise en terre en bordure d’un des deux îlots de muscat pour qu’ils servent de repère aux chauves-souris.
Une haie pour relier la forêt à la vigne
Un futur écran contre le vignoble conventionnel
Des arbres isolés pour les chauves-souris
Le projet dans son ensemble
De toute cette période, Damien Guérande garde un souvenir particulier de la venue des élèves de CM1 de l’école élémentaire de la commune sur une demi-journée. « Ils ont planté 250 arbres et ont posé énormément de questions, c’était un très bon moment ! »
Désormais complètement convaincu par la démarche et rassuré de voir que l’entretien des arbres ne prend pas trop de temps, « moins d’une journée pour arroser tous les plants grâce au système bricolé par un de mes salariés », Damien Guérande réfléchit déjà à la manière dont il pourra resserrer son maillage vitiforestier lors de la remise en production d’une jachère dans deux ans. « Sur certaines terres trop argileuses pour la vigne, nous songeons aussi à planter plusieurs rangées d’arbres dont nous broierons les bois que nous mélangerons avec du marc de raisin pour amender la vigne. Ce serait cohérent avec notre stratégie de réduction des intrants ! »
Et pour compléter la « trame verte » par une « trame bleue », « car sans eau, pas de biodiversité », Damien Guérande a créé au centre du vignoble une « mare artisanale, alimentée par un palox » et fait creuser plusieurs trous à la tractopelle.
La première mare