es contrôles, ça ose tout : c’est même à ça qu’on les reconnaît soupirent souvent les Michel Audiard du vignoble. Dépassant ce constat, la cave se rebiffe. Ou plutôt 27 coopératives : les membres de la Fédération des Caves des Vignerons Coopérateurs de Vaucluse (FCVC*), qui affichent leur mécontentement par un panneau donnant la couleur sur leurs portes d’entrée : « en grève administrative pour une durée indéterminée. Si vous êtes une administration nous ne pouvons pas vous recevoir dans nos locaux et ce, jusqu’à un retour sur nos revendications de simplifications administratives. »
Inédite, cette initiative est née lors des manifestations du monde agricole en février dernier, alors que les simplifications administratives promises se faisaient déjà cruellement attendre... « On les attend. Et on alerte pour se faire entendre par l’administration » explique Vincent Ratz, le directeur général de la cave Louérion Terres d'Alliance (Cucuron, 120 adhérents pour 950 hectares en AOP Luberon et IGP du Vaucluse), qui a lancé l’idée après des échanges entre directeurs de caves se rendant compte qu’ils étaient tous empêtrés dans des dossiers administratifs inextricables.
Avec cette grève, « on continuer de travailler en respectant les règles, il n’est pas question de se détourner de nos obligations, mais en cas de contrôles on ne les reçoit pas s’il n’y a pas de simplification » résume Vincent Ratz, qui n’a pas personnellement pas eu l’occasion de refuser un contrôle. Une autre cave a renvoyé un inspecteur du travail, ce qui a conduit à la convocation de la FCVC devant l’administration. Contacté, FranceAgriMer indique ne pas avoir de « commentaire à apporter sur ce sujet, cette action n’étant pas de notre initiative. L’Etablissement et ses équipes sont mobilisés pour opérer au mieux la gestion des mesures d’appui à la filière dont nous avons la charge. Cela est et reste notre priorité. »


De son côté, la préfecture du Vaucluse indique à Vitisphere que « les services de la Direction Départementale de la Protection des Populations ont effectivement reçu un message de la part de la fédération des caves coopératives de Vaucluse les informant de la grève administrative il y a quelques mois. Si aucun contrôle n'a eu lieu dernièrement, l'administration procède à des contrôles en tant que de besoin et dans les conditions règlementaires requises. » Face à ce refus des contrôles, la préfecture précise que « le terme de "grève administrative" est bien celui utilisé par les services de l’État en pareilles circonstances. Le blocage par une structure des contrôles de nos services peut logiquement entraîner des poursuites pénales. »
Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.
« On assume : s’il faut aller au tribunal, on ira » déclare Alain Brusset, le directeur de la FCVC, qui accompagne ses 27 adhérents pour refuser les contrôles. Du moins certains, ceux de FranceAgriMer étant maintenus, comme ils rapportent des fonds. Les autres sont rejetés par principe tant que les quatre pages de revendications de la Fédération n’ont pas reçu un traitement favorable. Centrées sur les simplifications administratives, les demandes de la FCVC sont plus larges, allant de l’annulation de la loi Evin à la suspension de l’étude Pestiriv (voir encadré).


« Ce sont des contraintes inutiles, nous sommes là pour faire du vin pas du papier » plaide Alain Brusset, qui indique avoir envoyé cette missive à la préfecture, les Fraudes, les Douanes, FranceAgriMer… À part l’échange avec l’Inspection du travail, « nous n’avons pas eu d’échange. Nous n’avons pas eu de courrier de réponse. Même pas un accusé de réception » regrette le directeur de la fédération, notant que les chances sont fortes pour que les manifestations agricoles reprennent de plus belle après les vendanges : « nous n’avons pas eu de réponse à nos attentes, notamment en matière de simplifications administratives. C’est le moment de revendiquer : si on ne le fait pas quand on est en train de crever, quand le fera-t-on ? »
« Il faut que ça avance vite : les caves sont au bord de l’implosion, les cours sont très bas » alerte Joël Choveton, le président de la FCVC et vice-président de la coopérative de Courthézon. « La problématique on la connaît sur nos exploitations et sur nos coopératives : la charge administrative est reportée sur nous et nos salariés. On voit que chaque année ça se complexifie. Et on se rend compte que l’on fait 4-5 déclarations identiques à des organismes différents : il y a un ras-le-bol général. Aujourd’hui on a des directeurs qui passent plus de temps pour l’administratif que leur travail commercial, technique… » explique le viticulteur, rapportant que le conseil d’administration de la FCVC vient de reconduire la poursuite de la grève administrative.
Parmi ses revendications, la FCVC souhaite des contrôles pédagogiques, constructifs et bienveillants, alors qu’ils sont souvent vécus comme étant à charge, pour sanctionner et faire du chiffre. « On nous demande d’être performant sur toutes les réglementations alors que l’on est soumis à plus de 5 000 textes » témoigne Vincent Ratz, qui partage l’impression d’être ciblé avec les autres coopératives. « Alors que l’on n’arrive pas à vendre le vin, que l’on est en vraie crise, la seule réponse c’est de faire des dossiers et être contrôlés. L’administration impose des règles mais ne s’impose rien : pas de réponse, pas de suivi… » soupire le directeur de la cave Louérion Terres d'Alliance.


« On n’est pas contre les contrôles, mais actuellement on est en train de mourir. Maintenir la masse administrative quand le cours des côtes-du-Rhône est à 70 €/hl, ce n’est pas la même chose » poursuit Alain Brusset, pour qui « c’est une question de dignité » : les administrations doivent considérer les caves coopératives « comme des partenaires et pas des assassins. Il faut voir le ton pour un contrôle du Casier Viticole Informatisé (CVI) : c’est traumatisant. On aimerait de la pédagogie et du soutien. Pas être repris sur des bricoles alors que les exploitations vont très mal, ne savent pas à qui vendre, n’ont plus ni fermiers, ni repreneurs et ont pour perspective l’arrachage ou la friche… Les gars sont étranglés. »
Avec cette charge sans fin de télédéclarations. « On est devenus des percepteurs : on déclare l’impôt sur le revenu, la TVA, les droits de circulation… Et on fait toutes les déclarations sur tous les services sans jamais voir personne. Quand on voit le cumul de cotisations, de la charge de travail, des coûts pris sur la rentabilité de la production… On se pose des questions » constate Vincent Ratz, pointant que si les caves critiquent l’administration, « nos organisations professionnelles ne font pas toujours mieux. La profession a parfois tendance à se mettre des contraintes et des règles sans mettre de solutions en face… » Quand on aura mis les contrôles sur orbite, la filière vin n’en finira pas de tourner.
* : Indépendante, la FCVC reste en rupture de ban de Coop de France et sa section Vignerons Coopérateurs. « Nous sommes toujours un peu les moutons noirs » glisse Alain Brusset.
Dans son document, la Fédération des Caves des Vignerons Coopérateurs de Vaucluse pose d’emblée que « de nombreux coopérateurs rentrent en procédure collective pour aménager leurs dettes sans pouvoir se rémunérer pour autant. Dans ce contexte inédit, il apparait un déséquilibre entre un prix de vente dérisoire et une augmentation exponentielle des charges. Cette explosion des charges est en grande partie liée à l’empilement de contraintes et obligations législatives amplifié par des contrôles zélés de la part d’administrations moins enclines à la prévention qu’à la répression punitive. » Parmi les exemples de lourdeurs administratives, la FCVC demande de fusionner Déclaration Récapitulative Mensuelle (DRM), Déclaration Annuelle d’Inventaire (DAI) et déclaration de stock « car les informations regroupées sont quasiment les mêmes ».
Demandant également « l’arrêt définitif de l’étude Pestiriv », mais aussi la « fin de la loi Evin » et « un moratoire sur les publicités de santé publique France », la FCVC ratisse large dans ses demandes, qui sont loin d’être partagées par les autres instances de la filière vin. « Pour nous, tant que l’on sera bloqués par la loi Evin, on pourra se battre tant que l’on veut, on n’y arrivera pas » estime Joël Choveton, qui veut également la fin de Pestiriv : « pourquoi seulement viser la viticulture ? Cette enquête ne va pas améliorer notre image. C’est une lutte sans fin. »
« Il faut communiquer sur le French paradox : que la filière mette des sous sur des études servant notre cause » poursuit Alain Brusset, pour qui « il faut que le vin revienne dans le quotidien et pas que l’on dise que le vin donne le cancer dès le premier verre. Là, vous verriez : la crise serait finie si l’on peut communiquer sur le French paradox. »