es saints de glace étant passés, la crainte nocturne des gelées tient déjà de l’histoire ancienne pour les vignerons épargnés par les températures négatives ce printemps 2024. Mais pour les autres, le gel reste un coup d’arrêt qui en fait enrager plus d’un, les critiques ne manquant pas contre les assureurs, la moyenne olympique et… l’Institut National de l’Origine et de la Qualité. L’INAO étant pointé du doigt pour limiter les outils de protection : notamment le recours aux voiles d’hivernage, interdit en AOC depuis une décision de 2003 du comité national des AOC relatives aux vins. Le changement climatique augmentant les risques gélifs, avec un débourrement précoce dû à la douceur hivernale, l’INAO indique à Vitisphere ne pas rester inactive. En fait, les gardiens du temple AOC semblent rouvrir le dossier AOC du voile antigel, ainsi que des filets d’ombrage pour combattre l’échaudage l’été.
« Il y a une grande préoccupation, naturellement partagée avec beaucoup de viticulteurs dans nombre de bassins, sur la protection contre les aléas climatiques. Le gel est l’un de ces aléas, ce n’est pas le seul » pose Thierry Fabian, inspecteur national de l’INAO. Appréciés par les vignerons les ayant adoptés, les dispositifs de couverture par protection physique contre le gel printanier ne sont pas autorisés en AOC, mais n’y sont pas non plus complétement tabous. « Depuis assez longtemps, nous accompagnons des essais en AOC sur un certain nombre de dispositifs » évoque l’inspecteur national, qui rapporte que le comité national des vins d’appellation a demandé en octobre 2023 à la commission nationale scientifique et technique de l’INAO de rédiger un rapport de synthèse sur l’ensemble des expérimentations réalisées. Cette étude est attendue pour la fin 2024, ce qui pourrait permettre son étude en comité national au début 2025, permettant, peut-être d’amener des évolutions de cahiers des charges par la suite.


Pour se conformer à la doctrine de l’INAO, il est impératif de mener des essais et d’en tirer les conclusions pointe Thierry Fabian, qui explique la « une tension entre la protection des récoltes, qui est notre souci commun avec les viticulteurs, mais également le cadre des appellations d’origine, pour maintenir un lien au terroir qui soit conséquent. Ce lien au terroir passe notamment par les conditions climatiques. C’est cette tension qui est aujourd’hui complexe à arbitrer, dans la mesure où les vignes en appellation n’ont pas vocation à être mises sous serre. Il faut trouver un équilibre. » La protection physique avec des voiles d’hivernage, pendant la période gélive du printemps, ou des filets, sur le côté exposé au soleil lors des coups de chaud de l’été, pourrait en effet ouvrir une boîte de Pandore, en étant complétée le reste du temps par des filets paragrêle ou des systèmes de couvertures contre les pluies. Et contre le développement du mildiou, comme l’expérimente le système escamotable Vititunnel.
Une mise à l’essai de Vititunnel en AOC est d’ailleurs en cours sur 5 ans et 12 sites bordelais (en appellations Haut-Médoc, Margaux, Pauillac, Saint-Estèphe, Pessac-Léognan et Saint-Emilion grand cru). Ouvert aux expérimentations avant toute idée de permission, le comité national a validé de nouvelles expérimentations antigel et antiéchaudage en Gironde. Pendant 3 ans, neuf domaines testeront sur 10 ha des voiles d’hivernage (en AOC Pauillac, Pessac-Léognan et Pomerol) et deux exploitations déploieront un filet d’ombrage sur 0,4 ha (à Margaux et Pessac-Léognan).


« C’est vraiment de l’expérimentation, très limitée et à taille réduite » complète Jean-Marie Garde, le président du syndicat AOC Pomerol. « L’INAO souhaite expérimenter ces pratiques pour l’hivernage et contre l’ensoleillement avant toute décision pour savoir si cela ne fracture pas le lien au terroir et si cela peut être déployé à plus large échelle. C’est une couverture très temporaire à basse température pour l’hivernage et au moment où le soleil tape fort contre l’échaudage » ajoute le président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB).
Si l’INAO ouvre une porte, cette avancée « reste quand même entourée de paperasseries, d’administratif, de contrôles… » note Jacques Lurton, le président du syndicat d’appellation Pessac-Léognan, qui voit d’un bon œil l’évolution possible de la réglementation AOC, mais regrette ces délais et cette prudence : « on parlerait de trois ans pour validation des essais. Je n’arrive pas comprendre en quoi cela pourrait avoir un impact et une modification sur le terroir. On voit hors AOC le domaine Liber Pater qui s’en sort très bien avec sa marque. » A la tête de Liber Pater (qui a quitté l’AOC Graves), le vigneron Loïc Pasquet rapporte que « les filets ont sauvé le millésime 2024 ! Interdit mais très efficace » (voir photos ci-dessous).
Sans se fixer d’objectif de calendrier, « il est sûr que le Comité National souhaite avancer sur cette question sans tarder » temporise l’INAO. Sachant qu’au-delà du lien au terroir, les gardiens du temple AOC sont sensibles aux questions d’efficacité et de durabilité des systèmes de lutte contre les aléas climatiques. Pour les outils antigel, l’acceptation sociale se pose en effet pour les bougies enfumant les riverains, etc. Il faut mettre en balance les dispositifs alternatifs par rapport aux critiques sur les nuisances résume Thierry Fabian, appelant à un équilibre entre efficacité du dispositif, compatibilité avec l’appellation d’origine et durabilité du système. Il ne reste plus qu’à boucler l’inventaire exhaustif, national et international, des dites techniques pour que l’INAO se penche sur la complexité de ces enjeux.
Vigne sans voile d’hivernage ce printemps sur le domaine Liber Pater. Photo : Liber Pater.
Vigne protégée par un voile d’hivernage ce printemps dans les Graves. Photo : Liber Pater.