uel est votre bilan de vos cinq années de mandat au Parlement européen ? Quelles sont vos plus grandes satisfactions et vos pires regrets ?
Irène Tolleret : Comme dans tout il y a du positif et du négatif. C’était très intéressant, on peut faire vraiment bouger les choses, je suis contente de mon bilan et d’avoir découvert des élus syndicaux de la filière qui sont de grande qualité (Joël Boueilh, Jean-Marie Fabre, Bernard Farges…). Mais il y a de plus en plus de gens qui vivent en Europe dans des villes et sont très éloignés de la réalité de la ruralité ou de la vision de ce que le vin apporte à notre culture. Il a fallu se battre encore et encore contre la volonté de supprimer des budgets alloués aux vins et à leur promotion. Avec des listes électorales nationales et non régionales, il y a une surreprésentation citadine. Il faut faire attention de ne pas perdre le lien avec la ruralité des députés européens, qui sont de plus en plus issus de ville et se mettent à habiter à Bruxelles. J’ai été présidente de l’intergroupe vin et spiritueux, ce qui n’est pas inutile, mais nous avions la difficulté de parler un peu entre nous, entre convaincus. D’où la création de l’European Food Forum.
Nous avons une viticulture européenne qui est économiquement performante, bon an mal an. Même s’il y a des endroits en crise, peut-être parce qu’ils n’ont pas su évoluer, nous avons des crus en croissance, grâce aux aides qu’ils touchent et ont pu toucher. Si demain, on dit que les sous des campagnes collectives ne sont plus versés aux produits gras ou avec de l’alcool, on va tout flinguer et ce serait débile. Ces campagnes accompagnent l’ensemble des interprofessions dans leurs conquêtes de marchés extérieurs. Ces publicités font connaître les terroirs et créent de l’attractivité touristique. Bien sûr que le vin n’est pas une boisson alimentaire vitale, on boit de l’eau pour ça, mais pour passer un bon moment entre copains on ouvre une bouteille de vin. Cette pression sociétale est très inquiétante.
Comment cette pression s’exprime-t-elle, sur l’Organisation Commune du Marché vitivinicole (OCM vin) à l’occasion des négociations sur la Politique Agricole Commune (PAC) ?
L’OCM vin a été préservée lors de la dernière PAC. Pour la prochaine, ça sera compliqué... Cette spécificité fait de la politique viticole la politique la plus centralisée et européenne qui soit, et pas seulement au niveau de l’agriculture. Aujourd’hui, le vin est la dernière chose agricole qui a réussi à garder ses outils de régulation : autorisations de plantation, organisation de producteurs… La filière vin s’est arc-boutée pour sauver son OCM qui n’est pas comprise par les pays non producteurs. La France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne se regroupent pour défendre ces gains. Il y a des coups de butoir réguliers. Comme l’Irlande avec son étiquetage de l’alcool en gramme. Je ne vois pas pourquoi cela informerait plus le consommateur… Il faut réglementer une bonne fois pour toute l’étiquetage des vins pour ne plus y toucher.
On l’a vu avec le rapport sur le renforcement de l'Europe dans la lutte contre le cancer (BECA) ou le rapport sur les maladies non transmissible (MNT), il y a une pression sociétale qui revient régulièrement. Et derrière, cette pression politique veut s’attaquer à la promotion du vin. Il y aura une levée de boucliers pour ne pas mettre d’argent sur la promotion de produits sur lesquels un usage excessif provoque le cancer. S’il n’y a plus d’argent pour les campagnes interprofessionnelles, les opérateurs n’auront pas la taille pour le faire et on va flinguer nos AOC alors que c’est un outil génial pour créer de la valeur ajoutée commune à plein de petits producteurs. Cette pression sociétale existe, car elle permet à des hommes politiques de ville de montrer qu’ils se préoccupent de la santé des Européens.
Ce serait un alibi politique pour vous ?
On est dans ce moment. Et c’est tellement facile de montrer ainsi que l’on s’occupe de la santé en ciblant le vin, alors qu’il faudrait créer une Europe de la santé dont on a vu les prémices durant la crise covid. Des lobbies antialcools sont très forts à Bruxelles. Ils répètent que la viticulture pollue avec les phytos, et on voit des idées d’interdire les traitements à 50 mètres des zones Natura 2000 comme des députés n’ont aucune conscience que la viticulture participe à la biodiversité de ces environnements privilégiés. En Pic Saint-Loup, personne ne veut flinguer l’aigle de Bonelli mais s’accrocher à la valeur ajoutée de ces espaces.
Allant avec l’idée de la dangerosité du premier verre de vin, il y a des propositions récurrentes de prix minimum par la taxation comportementale des vins et de mentions sanitaires communautaires ressemblant à celles du tabac sur l'étiquetage des boissons alcoolisées. Malgré l’opposition du vignoble, ces évolutions sont-elles inévitables à terme ?
Il y a plusieurs sujets différents. Pour le prix minimum, il faudrait déjà savoir s’il serait dissuasif. Il y a une baisse naturelle de la consommation : -20 % sur rouge en France. Quel est l’objectif d’une taxe comportementale quand naturellement la consommation baisse autant ? Le vin est aussi une boisson culturelle, avec une élasticité prix réduite. Ce n’est pas comme le tabac où l’augmentation du prix va réduire, selon le pouvoir d’achat, la consommation. Le vin a une consommation occasionnelle, celle quotidienne diminue toute seule. Je ne sens pas la taxation comportementale d’une efficacité rare. Quand j’ai commencé à travailler dans la filière dans les années 1990, tout le monde craignait les effets de la loi Evin, mais la chute consommation c’est la substitution quotidienne du vin par l’eau à table. Pour les mentions sur les étiquettes, on en a déjà et elles n’expliquent pas la fuite de la consommation du vin. Il y un déclin continu de la consommation.
Alors que vous alertez sur les enjeux d’une déconnexion de Bruxelles, vous ne vous représentez pas pour les élections du 9 juin.
Je suis fatiguée, j’en ai assez. Mais ces sujet ne sont pas seulement européens. Ils sont aussi nationaux. Il faut que les députés nationaux aient la même sensibilité que ceux européens. Quand on voit le vote de rejet du Sénat sur le CETA [NDLR : accord de libre-échange entre l’Europe et le Canada] alors que c’est un très bon accord… Le sujet de la défense des intérêts viticoles est pour moi le même sujet que la défense de la ruralité et de tous les produits de terroir. Il faut se bouger aux niveaux nationaux et européens pour sortir des idées un peu faciles.