udrey Martinez n’en revient toujours pas. Cette viticultrice, œnologue de formation, à la tête du domaine de la Vivarelle, 30 ha à Tourbes dans l’Hérault, garde en mémoire les réflexions d’un consommateur lors d’une dégustation récente de ses vins chez un caviste. Alors qu’elle lui explique qu’elle met très peu de sulfites, ce qui veut dire être intransigeante sur l’hygiène du chai, le monsieur lui envoie : « Vous êtes une femme, forcément vous nettoyez ». En réponse, elle lui tourne le dos !
Autre anecdote d’Audrey Martinez. Celle-ci se déroule aux Héritières de Bacchus, un salon pour les particuliers et réservé aux femmes viticultrices dans l’Hérault. Derrière son stand, Audrey fait déguster ses vins à un homme, la cinquantaine, visiblement connaisseur. Encouragée, elle lui parle d’extraction, de durée de macération. L’homme pose des questions. Soudain, du tac au tac, il lui demande : « Et où est votre mari ? Celui qui fait le vin ». Choquée, elle lui enjoint de quitter le stand.
Nathalie Causse, à la tête de Domaine Gayssou, 40 ha AOC Gaillac, à Broze, dans le Tarn, présidente de l’association Les Z’Elles Gaillacoises, qui réunit 34 viticultrices, cite un exemple de comportement similaire. En 2019, elle participe à la fête des Vins de Gaillac où elle présente ses vins aux côtés d’un ami venu lui donner un coup de main. Un consommateur s’arrête devant ce dernier et lui pose des questions sur le travail à la vigne, sur l’élevage. N’étant pas de la partie, l’ami en question a du mal à répondre. Alors que Nathalie intervient pour expliquer ses méthodes, « le client a continué à poser des questions à mon ami, sans un regard pour moi, indique-t-elle. Il était convaincu que c’était lui, le vigneron ».
Si ces deux viticultrices ont eu affaire à des réflexions sexistes, en revanche elles n’ont jamais senti que les hommes seraient prêts à payer moins cher leurs vins pour la simple raison qu’ils ont été élaborés par des groupes de femmes, contrairement à ce qu’indique une étude de Kedge (voir encadré), l’école supérieure de commerce de Bordeaux.
Même son de cloche chez Amandine Boissel. Cette viticultrice dirige le domaine de Brousse, 9 ha en AOC Gaillac à Cahuzac-sur-Vère dans le Tarn. « L’étude de Kedge est très bizarre, dit-elle. Si c’est une réalité, c’est très grave. Le problème ce n’est pas le prix, c’est le fait que des hommes ont du mal à penser qu’une femme puisse faire du vin ».
Au domaine de Herrebouc, 18 ha en IGP Côtes de Gascogne et en vin de France à Saint-Jean-Poutge dans le Gers, Carine Fitte et Hélène Archidec, les deux cogérantes vendent beaucoup en restauration et aux cavistes. « Ces clients ne tiquent jamais sur les prix. Ce qui les intéresse, c’est d’avoir des vins bio de qualité. Ils se fichent de savoir que deux femmes sont à la tête de la propriété », lâche Hélène Archi,dec.
Dans les salons pour les particuliers, c’est une autre affaire : « On sent bien que certains hommes sont un peu perdus face à une femme derrière son stand. Au pire ils hésitent et passent leur chemin, ou alors ils demandent où est le vigneron. Parfois, Félix qui travaille dans nos vignes vient nous donner un coup de main sur les salons. Très nettement, il attire des consommateurs hommes qui se sentent plus à l’aise avec lui qu’avec nous », observe-t-elle.
Céline Metz à la tête du domaine Hubert Metz, 10 ha en bio à Blienschwiller dans le Bas-Rhin se remémore une anecdote : en 2021, elle a souhaité acquérir une charrue. La voilà partie à la foire expo, proche de sa commune. Ce matin-là, elle emmène son enfant en poussette et compte bien passer commande. « J’ai tourné un bon moment. Aucun vendeur n’a fait attention à moi. Je suis repartie, dépitée. L’après-midi, j’y suis retournée avec mon compagnon. Sur le stand qui nous intéressait, tout de suite le vendeur s’est précipité vers nous et j’ai signé le bon de commande ».
Depuis peu, le domaine ne s’appelle plus Hubert Metz, mais Céline Metz. D’ici quelques semaines, ses 40 000 bouteilles vont porter une nouvelle étiquette. Pour l’heure, les commentaires sont positifs. Les consommateurs apprécient cette continuité familiale et ne se privent pas de le dire au père et à sa fille qui lui a succédé depuis 2016.
Quel prix êtes-vous prêt à payer ces bouteilles de vin ? Un millier de consommateurs français et 500 Belges francophones ont répondu à cette question posée par Florine Livat-Pecheux, enseignante-chercheuse en économie du vin chez Kedge Business School à Bordeaux et la doctorante Alicia Gallais. Ceux-ci avaient devant eux cinq bouteilles de château Les Vignes, un domaine fictif en appellation Graves. Des bouteilles strictement identiques à l’exception de la mention du producteur. Sur la première, aucun nom. Sur la deuxième était indiqué « par Georges Cadieux », sur la troisième « par Nathalie Panetier ». La quatrième portait un sticker « Fémivin, Des femmes Des terroirs », pour signifier l’appartenance de la productrice à une association de viticultrices et la cinquième portait le logo des vignerons indépendants. Ces deux dernières bouteilles ne portaient pas de nom de producteur. Les résultats de cette étude réalisée sur internet et parue en mars dernier sont édifiants : « Les hommes sont prêts à payer 1,50 € de moins la bouteille produite par une viticultrice appartenant à une association de viticultrices », indique Florine Livat-Pecheux. Soit 8,10 € contre 9,60 € pour les autres. Et d’avancer quelques explications : « D’une part, le vin a longtemps été présenté comme un produit élaboré par des vignerons. D’autre part, le fait d’appartenir à un groupement de viticultrices peut être assimilé par les hommes à de l’activisme, à une revendication politique ».