’AOC Côtes de Bourg fait partie des quatre appellations rétablissant sa cotation des vins en vrac. Était-ce une nécessité stratégique ?
David Arnaud : Pour nous, ce n’est pas forcément un gros sujet qui va avoir un gros impact. Ne pas avoir communiqué pendant un an sur le prix de vente n’a pas changé la donne. Autant les publier. Et l’on avait besoin de savoir ce qui se passe pour piloter l’AOC. Nous avons 40 % de la commercialisation qui se fait en vrac. Il y a encore quelques années, c’était la majorité des volumes. La part du négoce diminue de plus en plus, selon la même baisse que pour Bordeaux. Face à cette tendance, les vignerons ont compris qu’il va plus leur falloir se débrouiller seul.
Comment vous positionnez-vous par rapport aux débats actuels sur le prix plancher du vin en vrac pour rétablir la valorisation des vins de Bordeaux ?
Sur le principe, je suis entièrement d’accord avec ces discussions. La première réunion [entre filière Bordeaux et grande distribution ce 8 avril] est une première étape avec de bonnes intentions. Mais ça ne suffit pas. On parlait d’un tonneau à 1 000 € il y a deux mois, mais ces bonnes intentions n’ont pas vu le jour. On souhaite que les négociations avancent sur des contrats de filière où tout le monde peut gagner de l’argent. Mettons-nous autour de la table : on est toujours inquiets et rien n’avance. La loi Egalim telle qu’elle est faite n’est pas suffisante, il faut qu’elle évolue [pour empêcher de vendre sous le coût de production]. La Grande Distribution n’a pas le droit de vendre à perte, pourquoi nous producteurs le pouvons-nous ?
La décision du tribunal de commerce du 22 février condamnant deux négociant pour prix abusivement bas (l’affaire Rémy Lacombe) n’est pas suffisante pour vous ?
Il faut voir où ça va aller [avec les appels des négociants]. Ça participe à la réflexion générale filière de ne pas faire n’importe quoi. Ça participe à la pression avec les dernières manifestations. C’est tout ça mis bout à bout qui a permis la réunion entre filière et distribution [ce lundi 8 avril].
Quels efforts demandez-vous aux distributeurs ?
En Côte de Bourg, notre prix de vente moyen est de 5 € la bouteille TTC, c’est 4 € HT. Avec un prix moyen de 1 000 € le tonneau, où vont les 2 € de différence : est-ce de la marge pour le distributeur ? Il faudrait 50 centimes TTC de plus à la bouteille pour que les vignerons vivent. 50 centimes, ce n’est rien ! Est-ce que le consommateur verrait la différence ? Ce ne serait pas forcément à prendre dans la poche du consommateur : si tout le monde fait un effort, cela nous ferait vivre avec +480 € le tonneau. Le vigneron peut alors couvrir ses frais, sortir a minima un salaire minimum (ce qui serait normal quand on travaille 60 à 70 heures par semaine) et investir dans des pratiques plus écologiques pour aller dans le bon sens.
La société revient toujours sur le débat des pesticides, mais donnez-nous les moyens d’être à la hauteur des enjeux. Quand on perd des dizaines de centimes par bouteilles, on ne peut pas investir. Nous n’avons pas de marge de manœuvre… La marge de manœuvre est même négative dans nos exploitations ! Peu de personnes arrivent à joindre les deux bouts. Depuis le covid et l’explosion des coûts, tout coûte de plus en plus cher alors que l’on vend de moins en moins.
Quelle est l’ampleur de la crise économique actuelle dans le vignoble ?
Plus les mois passent et plus les exploitations s’endettent. Alors que toute la filière a intérêt à sauver les domaines. L’arrachage actuel, primé ou non, concerne l’arrêt des surfaces approvisionnant le négoce (pour les 100 % vracqueurs et les mixtes). En retirant tous ces volumes, il ne va plus y avoir assez de vin pour le négoce à un moment donné. Eux aussi ont intérêt à maintenir la filière... Sinon, dans 12 à 24 mois on peut se retrouver avec un manque de vin à Bordeaux.