es vignerons ont du mal à comprendre l’opération faisant qu’un vin vendu 4 € à un restaurateur finisse à 20 € sur sa carte des vins, alors que le service se limite à ouvrir et poser la bouteille sur table. Comment l’expliquez-vous ?
Pierre Martin : Les restaurants peuvent pratiquer de temps en temps des marges confortables sur le vin mais il faut bien prendre conscience que la première charge d'un restaurant c'est sa masse salariale, soit 1/3 du chiffre d'affaires à minima. Vous ajoutez 20 % de charges externes et près de 30 % de coût matière, votre marge se limite donc à environ 16 % du chiffre d'affaires avant déduction de tout type de remboursement d'emprunt et souvent même avant déduction de la rémunération de l'exploitant. Inversement, analyse faite du prix des matières premières solides et du coût de la transformation, les prix des plats eux, ne sont pas suffisamment élevés.
En conclusion, la restauration fait une marge sur le vin bien moindre que ce que l'on pense. Une entreprise à le devoir de gagner de l'argent. En perte l'on ne se fait pas plaisir pendant longtemps et l'avantage des chiffres est qu'ils n'ont pas d'état d'âme, nous avons l'obligation de les tenir en haute considération !
Nicolas Cuny : Je comprends que nos prix puissent être considérés comme élevés quand on est vigneron dans l’Entre-deux-Mers et que l’on n’arrive pas se rémunérer. Pour le Noailles, nous avons la particularité d’avoir des serveurs payés au pourcentage du chiffre d’affaires : 9 % du montant HT sur la table, c’est leur salaire brut et l’une des meilleures places de serveur à Bordeaux. Ça explique qu’il faut tenir compte de la masse salariale. Il faut prendre en compte les enjeux des charges sur la rentabilité de l’établissement. Il est important de marger pour rester rentable, fidéliser le personnel et investir dans l’outil. Un restaurateur doit être vigilant.
Comment se traduit cette vigilance sur les stratégies tarifaires : coefficient unique ou adapté à chaque cas ?
Nicolas Cuny : Nous appliquons une stratégie de baisse du coefficient multiplicateur avec l’augmentation des prix. Nous sommes sur des coefficients de 5 à 6 sur les vins achetés autour de 4€ la bouteille, ils passent à 2 autour de 100 €, puis diminuent au-delà. Sur des grands crus recherches que nous avons pu acheter à bon prix en primeur, nous ne répercutons pas un coefficient de manière bête et méchante pour coupe la poire en deux.
Pierre Martin : Faire fois 4 à fois 6 ne me gêne pas sur les vins achetés entre 4 à 6 € la bouteille. Le service et les charges sont à l'identique sur une bouteille à petit prix ou à prix élevé. Un verre cassé coûte 6 €, la verrerie représente un budget de 6 000 € hors taxe annuel, la prestation est à l'identique. Sur les vins achetés 140 à 200 € je prends 100€ de marge en moyenne, sur les vins achetés au delà de 400 € la marge est de 200 €. Sur les vins spéculatifs, il faut arbitrer pour n'être ni un voleur ni un imbécile...
Dans la filière vin on se dit que si les coefficients/marges étaient moindres, les restaurateurs vendraient plus de vin et permettraient d’écouler plus de volumes…
Pierre Martin : On peut comprimer certains prix mais ce n'est pas en baissant de 10 à 20 € le prix de la bouteille que l'on en vendrait 2 fois plus. Un restaurant n'est pas assujetti à la mécanique de la grande distribution, le client va commander le nombre de bouteilles qu'il est susceptible de boire au cours du repas. Toutefois à l'exception, un client amateur peut se laisser tenter par l'attractivité du prix d'une belle référence.
Nous raisonnons plus en valeur brute qu'en pourcentage et cette valeur dépend pour chacun de nous du produit proposé, du type d'établissement qu'il gère, de la qualité de sa prestation, du lieu géographique, de sa clientèle... "A chacun sa Vérité".
Nicolas Cuny : Dans une brasserie il faut proposer des vins abordables. Mon premier prix est à 18,50€ en Bordeaux blanc et 19,50 € en Bordeaux rouge. Je ne me vois pas aller en dessous du seuil psychologique de 19 € la bouteille sur table. De même, mon offre de vin au verre commence à 7-8 € (pour 12,5cl). Et le vin au verre représente quasiment un quart de nos ventes de vin. Mais il y a autant de façon de voir les choses qu’il y a de restaurateurs.