lus c’est gros, plus ça passe ? Dans son dernier Observatoire sur les pratiques des lobbies de l’alcool, l’association Addictions France n’a pas peur des énormités quand elle se penche sur « une technique de lobbying à la loupe » : la « victimisation d’un secteur en crise » pour « une crise à relativiser ». Il fallait oser présenter comme exagérée cette somme qui s’abat sur le vignoble ces derniers années : des difficultés climatiques (gel, grêle, sécheresse, mildiou…), géopolitiques (covid, taxes Trump, enquêtes chinoises…), économiques (inflation des coûts, déflation des prix…) et sociétales (déconsommation du vin rouge, jeunes générations moins consommatrices…).


« Nous nous sommes habitués à voir chaque année ces publications cousues de fil blanc jouer la carte du dénigrement, à grand renfort de raccourcis, de calomnies et de simplifications à outrance pour expliquer que nos organisations seraient par nature coupables et dangereuses » réagit Krystel Lepresle, déléguée générale de Vin & Société sur LinkedIn, notant que « le rapport 2023 publié il y a quelques jours va encore un peu plus loin. Il accuse cette fois-ci la filière vitivinicole du pire des cynismes, en lui reprochant d’avoir mis en scène une crise qui n’existerait pas ou qui serait, à minima, à relativiser, afin de défendre ses intérêts et obtenir des arbitrages favorables. »
Alors qu’Addictions France semble avoir la vista du marché du vin, et puisse donc culpabiliser ses opérateurs en leur faisant la leçon : « une partie des difficultés de la filière, en particulier dans le Bordelais, s’explique aussi par des erreurs dans leur stratégie commerciale. La filière n'a pas réussi à anticiper les évolutions sociologiques et alimentaires de la société française, privilégiant une standardisation des goûts pour satisfaire une clientèle internationale au détriment de l'authenticité, en industrialisant les processus de production et en recourant massivement aux pesticides, négligeant ainsi toute considération écologique. »
Premier département viticole bio de France, offrant une large palette de profils produits et de rapports qualité-prix, la Gironde appréciera… Tous comme ses opérateurs en pleine déprime face à l’incapacité de se payer, qu’ils soient petit vigneron vracqueur ou grand domaine installé sur la bouteille, jusqu’au dans les crus du Médoc. Les proches de ceux ayant mis fin à leur jour seront moins tendres… Mais ces drames humains ne semblent pas préoccuper Addictions France, qui privilégient une vision macroéconomique.


« Loin de péricliter, le secteur du vin continue à se développer, avec un chiffre d’affaires en constante croissance » indique le rapport, évoquant de récents d’affaires record pour l’ensemble de la filière et la contribution du secteur à l’export pour la balance commerciale nationale : « pas mal pour un secteur en crise » grince l’association hygiéniste, semblant vouloir faire de l’esprit. Mais « entre le sarcasme et l'ironie il y a la même distance qu'entre un rot et un soupir » écrivait Hugo Pratt dans la Ballade de la mer salée (1967). L’association aurait dû se pencher sur les dernières statistiques de la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux (FEVS), qui témoignent d’expéditions à la peine pour les vins : 122,6 millions de caisses pour 11,3 milliards € en 2023, soit des baisses de 9,4 % en volume et 3 % en valeur sur un an.
Soit la plus basse performance en volume depuis 2009, mais la deuxième performance en valeur après 2022 pour les vins. Car ce sont actuellement les vins les plus chers qui affichent les meilleures performances, quand la base de la pyramide semble plus attaquée, sortant des marchés à cause de l’inflation et/ou des changements de consommation. Un ébranlement qui nécessite des analyses économiques pour être perçu, mais qui est balayé par Addictions France, qui joue la minimisation pour parler de manipulation.
Diagnostiquant « une technique de lobbying bien connue des groupes d’intérêt », l’association estime que, « sans remettre en cause les difficultés des producteurs indépendants, on voit à l’œuvre une instrumentalisation de ces difficultés » avec « une dichotomie entre l’action des industriels du vin et les revendications des petits viticulteurs ». Et Addictions France de tenter une périlleuse figure d’opposition entre les demandes vigneronnes de revalorisation du vin en vrac/d’arrêt des importations des vins espagnols (en citant le bouillant Comité d'Action Viticole dans le Midi) et l’opposition des représentants de la filière vin contre une taxation comportementale des boissons alcoolisées (avec un prix minimum du vin). Car « cette mesure représente[rait] une solution ciblée, visant exclusivement les vins bas de gamme, les vins importés et vendus à bas prix ainsi que les productions industrielles »...
« Disons les choses clairement et simplement : la crise viticole est bien réelle, elle est ressentie par tous les acteurs du vin depuis des années » réplique Krystel Lepresle, qui rappelle que « la filière de la vigne et du vin n’a jamais cru que son salut viendrait de l’excès. Elle est au contraire, et depuis de nombreuses années, engagée dans la promotion d’une consommation responsable largement pratiquée par les Français. »
« À écouter l’association, la disparition d’environ 11 000 domaines viticoles entre 2010 et 2020, la chute de 70 % de la consommation de vin sur les 60 dernières années, la succession de chocs économiques et environnementaux auxquels les viticulteurs, vignerons et négociants ont été confrontés relèveraient au mieux de la simple posture, au pire de la stratégie victimaire assumée » analyse Krystel Lepresle.