Jean-Claude Balès : Le terme a été créé par Gallia, brasserie rachetée par Heineken, dont je salue la créativité marketing. Pour moi, il n’y a pas lieu de confondre la bière et le vin : je ne fais pas de la bière au vin. Je travaille avec des vignerons pour intégrer des procédés viticoles dans la production de vin. Avec le vigneron Pascal Charles et ses filles (domaine Charles, basé à Nantoux dans les Hautes-Côtes), nous mettons une bière neutre pour la refaire fermenter dans ses fûts ovoïdes qu’il appelle des menhirs (avec des turbulences faisant circuler les lies fines). Ce qui extrait le meilleur du bois et des vins de pinot noir qui y ont été élevés plus de dix ans. On retrouve dans la bière les fruits rouges : c’est une bière particulière, qui prend le meilleur de la vigne grâce aux procédés de vignerons. C’est forcément une bière plus vivante. Chaque œuf a des écarts de goûts : ce n’est pas reproductible, on millésime ces bières et on pense numéroter les fûts (un fût pouvant être utilisé pour produire 4 bières). Les essais de bières refermentées et élevées en fûts de chardonnay ont donné des résultats trop subtils, nous sommes restés sur des fûts de Pommard (pour des bières Grand Cru Bourgogne et Menhir, respectivement 15 000 et 1 400 bouteilles)
Avec le vigneron Armand Heitz, nous produisons un bière élevé en fûts de pinot noir pour le deuxième millésime (90 hl produits, la moitié est déjà vendue en 2 semaines) et nous travaillons sur des bières monocéréales (blé, seigle, sarrrazin…), sur des bières de houblons (comme des cépages).
Nous avons deux grands noms des vins de Bourgogne qui veulent produire leurs propres bières chez nous, ils viennent à Beaune la nuit pour ne pas être vus… Nous travaillons aussi sur des projets avec du raisin, des lies et des moûts pour balayer les techniques viticoles.
Vous étiquetez la mention viticole traditionnelle "grand cru" sur des bières, est-ce que cela ne pose pas de problèmes réglementaires ?
Il n’y a pas de souci pour l’utilisation de "Grand Cru", j’ai rencontré les institutions de Bourgogne pour faire le point dès le début de ce projet. Je peux écrire la référence à Pommard sur mes étiquettes dans la mesure où cela décrit un procédé que je peux prouver : « bière élevée dans un fût ayant élevé du vin de Pommard ».
Dans la filière vin, on entend des critiques sur la concurrence de la bière qui prend sa place sur les tables et dans le cœur des jeunes consommateurs…
Pour moi la bière ne remplace pas le vin. Je suis très respectueux du travail des vignerons. Il est bien plus difficile de faire du vin que de la bière. Les brasseurs sont dans un milieu fermé, avec quatre ingrédients (malt, houblon, eau et levure). Ce qui est difficile dans la bière, c’est la répétabilité.
Si la bière prend des parts de marché au vin, c’est une question de prix : nos bouteilles de bière artisanale de 75 cl ont un prix moyen de 5,5 €. Un vin artisanal est au moins deux fois plus cher. La bière offre aussi plus de diversité de goûts. Et un autre sujet est l’éducation aux vins. Il y a une perte de la transmission familiale et de l’apprentissage de cette culture du vin alors que la bière est plus facile d’accès.
Vous considérez-vous comme une microbrasserie ?
Non, nous sommes une brasserie artisanale. Avec 10 000 hl produits sur notre première année, nous sommes la deuxième brasserie de Bourgogne Franche-Comté. Avant j’étais dans l’univers des start-ups et j’ai appliqué des méthodes d’hyper croissance (levée de fonds…). Je suis un jeune brasseur de 61 ans depuis 14 mois.
Notre modèle économique repose sur la production de nos bières et celles d’autres brasseurs : 60 % de notre outil industriel fonctionne pour des brasseries belges dont nous avons assuré la distribution en France lors de la construction de notre brasserie. Cette demande a permis à nos zythologues d’apprendre vite à reproduire des bières complexes. Toutes nos céréales viennent de Côte d’Or, cela m’a pris un an pour monter les partenariats avec les agriculteurs.
Deux bières noël : Jean-Claude Balès et Anthony Verdureau, les fondateurs de la Brasserie de France à Beaune.