ichel Dovaz est mort le vendredi 8 décembre. Moins d’une semaine avant sa disparition, l’Helvète parisien était encore à table chez des amis à partager flacons, mets et … conversation. Mais l’âge l’a rattrapé. A 95 ans, Michel Dovaz a quitté notre monde. Sa voix et sa plume manqueront à la civilisation du vin. Ceux qui l’ont rencontré n’oublieront pas son œil bleu brillant enfoncé sous les sourcils, son nez mince et droit, ses cheveux blancs toujours plus ou moins embroussaillés. Et le sourire malicieux qu’il arborait en servant une flûte de champagne ou en posant une question embarrassante à un vigneron.
Né en 1928 à Genève, Michel Dovaz n’est entré dans le monde du vin que dans les années 1970. Après avoir été garagiste, journaliste de radio, critique de théâtre, et sans doute d’autres métiers dont il n’a jamais parlé. Son premier livre est paru en 1976, Le livre du vin aux éditions de Vecchi. Il ne voulait surtout pas dire qu’il était « passé professionnel », car cela aurait voulu dire qu’il n’était plus un amateur, un hédoniste du vin. Cet aspect amateur, au sens de celui qui aime, lui tenait à coeur, même s’il reconnaissait que beaucoup de ses livres manquaient peut-être de cet aspect hédoniste, justement.
Michel Dovaz a été un des premiers à enseigner la dégustation à l’Académie du Vin (Paris VIII) créée par le britannique Steven Spurrier en 1972. Il était à la fameuse dégustation franco-américaine dite « le Jugement de Paris » en 1976 * et a participé pendant 40 ans au comité de dégustation de la Revue du vin de France (RVF, dont le directeur de la rédaction, Denis Saverot, partage pour illustrer cet article une photo de Michel Dovaz). Mais ce qui fait date dans sa production journalistique est L’encyclopédie des crus classés du Bordelais parue chez Julliard en 1983. Pour la première fois, il réussissait à donner systématiquement les informations sur les points clefs (dates, porte-greffes, surfaces etc) avec une cartographie précise, alors que les autres auteurs avaient alors tendance à ne donner que les informations dont ils disposaient.


De nombreuses personnes ont eu la chance d’avoir Michel Dovaz comme comme confrère ou comme professeur, y-compris le journaliste Michel Bettane. Ceux qui ont profité de son enseignement auront retenu au moins une chose : c’est à la finesse qu’on reconnaît un grand vin. « Les vins puissants vont-ils tuer les vins fins ? Ceci ferait un excellent sujet de baccalauréat. Le goût des consommateurs décide. On oublie toujours qu’un vigneron se trouve dans la même situation que Renault avec ses voitures. Il doit vendre son vin pour vivre. » déclarait un jour cet ancien collectionneur de Bugatti.
Avec cet esprit original, c’était souvent la douche écossaise, il passait régulièrement d’une position forte et tranchante à une sorte de fatalisme qui accepte la nature, imparfaite, de l’homme. « La viticulture est allée au bout du tout chimique, il n’est pas étonnant qu’elle passe par l’autre extrême. N’empêche que la biodynamie est une élucubration et que Maria Thun est une flibustière avec son calendrier des semis. Seule l’agriculture bio est rationnelle et saine » déclarait-il au début des années 2000. Avait-il changé d’avis ?
Michel Dovaz avait un frère anglicisite, Claude Dovaz, qui avait traduit avec une maitrise absolue de très nombreux ouvrages sur le vin. Qu’un hommage soit ici rendu à ces deux personnalités rares.
* : Les 26 et 27 février 2022, Michel Dovaz évoquait avec brio cette dégustation dans le cadre de l’émission « Une histoire particulière » sur France Culture https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/une-histoire-particuliere-un-recit-documentaire-en-deux-parties/rouge-sur-blanc-tout-fout-le-camp-1544169