l fut un temps, pas si lointain, où la Chine faisait figure d’Eldorado du marché international du vin, représentant jusqu’à 7% de la consommation mondiale et des importations en 2017, soit quatre fois plus qu’en 2005. Depuis, entre taxation punitive pour certains et batailles juridiques pour d’autres, en passant par le surstockage et une économie en berne, les ventes de vin se sont réduites comme peau de chagrin. Le Covid a sans doute porté le coup de grâce : les données de l’OIV montrent que la consommation a régressé de 16% en 2022, faisant suite à des reculs de 15% et de 17% en 2021 et 2020 respectivement. Mais selon une étude publiée par l’économiste émérite Kim Anderson de l’Université d’Adélaïde en Australie, le Covid n’explique qu’en partie la régression du marché chinois.
En effet, si la fermeture des bars et restaurants – hauts-lieux de la consommation en Chine – a sans aucun doute porté atteinte à la commercialisation du vin, l’économiste pointe un déclin qui précède de trois ans le début de la pandémie. « La consommation par habitant en Chine a atteint un pic en 2012 pour régresser chaque année depuis 2017 et ne représenter en 2022 plus qu’un tiers de son niveau maximum. Ses importations ont chuté de plus de moitié (–55%) depuis 2017 ». Comme dans bien d’autres cas, le Covid n’a fait qu’accélérer des tendances existantes, phénomène confirmé par des chiffres relatifs au premier trimestre 2023 : selon Kim Anderson les importations ont de nouveau baissé, de 31% en volume et de 21% en valeur par rapport à 2022.
Plusieurs tendances concordantes expliquent la désaffection envers le vin manifesté par les consommateurs chinois. Il faut dire que les mesures anti-corruption mises en œuvre par le Président chinois en 2013 n’ont rien fait pour encourager la consommation de vins, notamment dans le haut de gamme. Un mouvement nationaliste émergent qui privilégie les marques locales – baptisé « guochao » - y a peut-être joué un rôle aussi, le vin étant l’archétype du produit occidental. Et puis, force est de reconnaître que la tradition fortement enracinée du « ganbei » et d’autres habitudes de consommation en Chine ne sont pas particulièrement propices au vin. Enfin, la premiumisation pourrait-elle expliquer la baisse des volumes ? « Cela ne cadre pas avec la stabilisation du prix moyen des importations de vins depuis 2011 », infirme l’économiste australien.
Dans le même temps, celui-ci souligne la chute de la production nationale, qui a été divisée par deux entre 2018 et 2022 selon l’OIV avec une baisse de 30% pour la seule année 2022. Or, on sait que les producteurs chinois faisaient largement appel aux importations dans leurs assemblages, même si la part des importations en vrac sont passées de 80% en 2005 à 25% en 2022. De même, une production nationale forte sert souvent de moteur de consommation. Fortement encouragée par le gouvernement, dans le but de repeupler des zones désertiques, lutter contre la pauvreté et réinstaller les populations urbaines à la campagne, la production chinoise de vin a indéniablement décroché : « Cela peut s’expliquer par des désinvestissements de la part de nouveaux producteurs qui n’ont pas réussi à générer les bénéfices escomptés », suggère Kim Anderson. Le coût élevé de la production de vin en Chine ne facilite d’ailleurs pas la viabilité des exploitations. Il en est de même du côté des distributeurs et des importateurs dont on dit que nombre d’entre eux ont quitté le secteur faute de retours sur investissements. Ce contexte n’est guère favorable au développement du vin.
De là à dire que les perspectives à court terme ne sont pas très positives sur le marché chinois il n’y a qu’un pas, que Kim Anderson franchit bien : « Il est peu probable que les importations chinoises de vins en volume dépassent à peine de moitié leur pic », soit 7,5 millions d’hectolitres en 2017. A plus long terme, l’économiste est un peu plus optimiste : « Le marché chinois du vin va probablement se développer au fur et à mesure que les revenus augmentent et que la qualité de la production locale s’améliore, encourageant davantage de consommateurs à intégrer le vin dans leur mix de boissons consommées ». Dans tous les cas, il existe une belle marge de progression : la part du vin dans la consommation de boissons alcooliques ne dépasse pas 1,5%, contre 4,6% à son niveau le plus élevé en 2012, qui fait déjà pâle figure comparé à la moyenne internationale de 13% au cours de la dernière décennie.