La vérité, c’est qu’il y a un peu des deux. On assiste à des évolutions de consommation, et on ne peut pas nier que les gens boivent moins mais mieux. Il y a des mutations démographiques aussi. Au Royaume-Uni, il existe une importante cohorte qui, pour des raisons religieuses ou éthiques, ne boit pas. Mais derrière ces grandes tendances, il y a des « poches » d’opérateurs qui se portent extraordinairement bien. A Malmo, en Suède où j’habite, par exemple, il y a un vivier de jeunes qui adorent le vin et y consacrent beaucoup d’argent parce qu’il y a une catégorie qui les fait vibrer et qu’on peut classer plus ou moins sous la bannière de vins natures. Ils ressentent un vrai lien affectif entre leurs valeurs, leur éthique et le produit. Les producteurs performants vont au-delà de leur rôle de producteur pour proposer quelque chose qui parle aux consommateurs, que ce soit le produit lui-même ou son conditionnement. En France, il y a des vignerons qui sont passionnés, dont le sang coule dans leurs veines, mais ils se sont raccrochés à une dynamique dépassée où l’on boit automatiquement du vin à table et que le vin est le symbole ultime de la « francité ». Ils supposent à tort que cette dynamique va continuer à impulser la consommation. Or, le monde est bien plus compliqué, ses codes sont désormais beaucoup plus complexes. Auparavant, lorsqu’on avait atteint un certain statut social et niveau de revenu, on buvait du Bordeaux. Aujourd’hui ce n’est plus le cas.
C’est une question importante. Je pense qu’avec la Corée du Nord, la France est le seul pays où l’on ne peut pas regarder notre « Wine Show » de manière légale. Ce n’est pas le cas à Bahreïn, par exemple, même si on n’y boit pas d’alcool. En préparant la série, nous avions l’espoir que les vrais amateurs de vins, les 5% de la population, ne la regarderait pas car nous voulions toucher les 95% qui boivent du vin dans le contexte de bien d’autres choses. Les spécialistes ont déjà touché les 5%. Il s’avère que notre série a été visionnée par 100 millions de personnes. Elle m’a appris que le suivi des réseaux sociaux est très important. Autrement dit, on parcourt les réseaux sociaux et internet et on répond personnellement aux commentaires. C’est un moyen très efficace de toucher son public. De même, si quelqu’un se rend à votre domaine, qu’il se régale et que vous avez la possibilité de lui envoyer un mot manuscrit, il vous aimera pour toujours, et il racontera à tout le monde qu’il vous aime. Je conseille à mes clients de sélectionner leurs 50 meilleurs interlocuteurs au cours des 12 derniers mois et de leur envoyer un mot manuscrit. N’envoyez pas simplement des échantillons avec un bon de livraison.
Pour revenir à la série, on a appris aussi qu’il faut parler d’autre chose que de vin. Par exemple, on s’est rendu compte que lorsque les téléspectateurs nous envoyaient des photos de ce qu’ils buvaient pendant l’émission, ils mettaient leurs pieds sur un repose-pied et on voyait leurs pantoufles. Donc, on leur a demandé de poster des photos de leurs pantoufles ! Lorsqu’on cherche des photos en ligne de « consommateurs de vins », on y voit des jeunes autour de la vingtaine, beaux, dans des contextes glamour. La réalité, c’est que les gens sont souvent à table ou bien devant la télévision dans un contexte calme entouré de ceux qu’ils aiment. Il faut faire allusion à ce type d’ambiance et se dire que le « consommateur » de vin, c’est votre maman, votre fils ou votre compagnon.
Il y a une telle diversité de profils de vin qu’à mon avis, cet argument n’est pas valable et de plus, la qualité du vin n’a jamais été aussi élevée. J’ai tendance à regrouper les consommateurs par communautés : les gens achètent ce qu’ils voient d’autres acheter. Pour faire un parallèle avec Netflix, les gens regardent des séries, non pas parce qu’ils les apprécient particulièrement mais parce que d’autres les regardent. Je suis contre toutes ces applications qui font des rapprochements transversaux de goût : on vous oriente, par exemple, vers un vin issu du cépage rkatsiteli parce que vous appréciez tel style de café. Cela va à l’encontre des habitudes des consommateurs. Les gens boivent ce que d’autres gens boivent, et ces choix ont souvent un lien avec leur façon de voir le monde et comment ils s’y intègrent. L’essentiel, donc, c’est de bien identifier les petites communautés auxquelles on s’adresse. Certaines maisons le font très bien. Personne ne boit la marque Whispering Angel parce qu’ils aiment le goût, ils le boivent parce qu’ils veulent être un peu « Eurotrash ». De même, on boit du Chêne Bleu du Rhône parce qu’il figurait dans la série « Succession », qu’il a une vraie histoire et qu’il y a du glamour. Idem pour le vin nature, on ne le boit pas parce qu’il a bon goût – d’ailleurs il est souvent moins bon – mais parce qu’il dégage une sensation plus attrayante.
Si c’était vrai, l’Australie et d’autres pays du Nouveau Monde n’aurait pas emprunté le chemin du terroir et de la typicité régionale. Au final, ils sont arrivés à la conclusion que la France avait parfaitement raison dans son approche. Par contre, comme disait l’informaticien américain Alan Kay, un changement de perspective vaut 80 points de QI. Lorsque les Français parlent de leur patrimoine, de la transmission du savoir-faire, du système des appellations etc, s’ils remplaçaient le « je » par « vous », ce serait beaucoup plus efficace. Donc, « vous » allez accéder à des générations de patrimoine et d’histoire, vous allez participer à un voyage virtuel à travers ce flacon depuis chez vous, et vous allez faire partie d’une communauté qui œuvre depuis de nombreuses années et nous voulons que vous veniez la voir. La règle, c’est d’utiliser le mot « vous » cinq fois plus que le mot « je », et cela modifie profondément la manière dont vous parlez du vin. Pour moi, la seule vraie défaillance du système des AOC, c’est d’avoir fait croire aux producteurs qu’en suivant les règles, tout irait bien. Ils ne comprennent donc pas pourquoi leur vin ne se vend pas, alors qu’ils ont respecté les règles. Mais ils n'ont pas analysé les raisons de base pour lesquelles les gens voudraient boire leur vin, et comment le rendre plus attrayant.
En réalité, les réseaux sociaux sont passés d’un média gigantesque à un support beaucoup plus restreint. Aujourd’hui, il est plus important d’avoir moins d’abonnés – on va dire 10 000, considéré comme un chiffre magique sur les réseaux sociaux – mais d’avoir des abonnés véritablement impliqués. L’essentiel, c’est qu’on vous y voit. Ne vous souciez pas trop de l’esthétique. Si je prends l’exemple de Katie Jones du Domaine Jones, elle se promène dans ses vignes, elle raconte ce qu’elle fait aujourd’hui, comment elle vit en France – les hauts et les bas – et elle invite les gens à venir la voir et à apprécier ses vins. Plus que tout, les gens désirent un rapport humain. N’envisagez pas les réseaux sociaux comme un groupe de personnes énorme, essayez plutôt de nouer un dialogue avec de « vrais gens ». Parmi les meilleurs exemples qui illustrent ce phénomène de « rayonnement » figure Tinder, qui a débuté lors d’une petite fête chez des étudiants de l’université de Stanford.
83% des consommateurs se fient au packaging pour acheter du vin. Je crois même que 50% se servent de la forme de la bouteille comme repère. On sous-estime massivement l’importance de ces éléments. La règle que j’applique consiste à dire que si vous ne pouviez pas transformer la conception de votre étiquetage en merchandising que vous seriez capable de vendre, choisissez autre chose. Est-ce que je pourrais commercialiser cet étiquetage sous forme de t-shirt ? Il s’agit là d’une vraie leçon qui vient du secteur des bières artisanales. Bien souvent, aux Etats-Unis, des marques de vin sortent de très beaux t-shirts puis les reproduisent sur l’étiquetage et les consommateurs l’adorent. Il faut sans doute mettre de côté son ego au début du processus parce que bien souvent, les producteurs associent leur packaging à leur histoire, leur patrimoine etc, en oubliant que les consommateurs les ignorent totalement. Dans le monde du design, on parle de MAYA, le plus avancé possible tout en restant acceptable. L’iPhone en est un exemple. Le packaging doit être divertissant – l’image d’un château ne l’est pas – et il doit correspondre également au plus « audacieux mais acceptable », la découverte étant au cœur de l’expérience vin. Peu de consommateurs boivent tout le temps le même vin, ils veulent découvrir des choses nouvelles, mais celles-ci doivent rester acceptables. Lorsque les communicants évoquent des cépages dont personne n’a jamais entendu parler, c’est « audacieux » mais pas « acceptable ».
Une technique bien plus puissante consiste à rapprocher des profils de vins : si vous appréciez le pinot noir mais voulez acheter un vin moins cher que du bourgogne, essayez du frappato sicilien. C’est un « bond acceptable ». Au final, il faut se demander si on veut ratisser de manière large mais superficielle, ou bien de façon profonde mais étroite. La plupart des maisons ne prennent pas de risques, et ratissent large. Mais on peut creuser une niche de façon plus profonde, à la manière de Whispering Angel. Peu importe qu’on se retrouve dans le nord de l’Angleterre au mois de mars, son cœur est à St Tropez en juillet…




