rise mine dans le vignoble bordelais, alors que les ventes de vins rouges restent en berne et que les coûts d’exploitation ont explosé ce millésime 2023 (mildiou oblige). « De plus en plus de viticulteurs se retrouvent aujourd’hui dans de réelles impasses financières avec des causes qui s’additionnent (surendettement bancaire, des aléas climatiques, des petites récoltes, un marché en crise…) » rapporte Antony Cararon, le responsable du Service Conseil du CER France de Gironde. Soutenues par les aides covid (jusqu’en 2022) et les indemnités d’assurance (« qui constituent finalement du chiffre d’affaires en avance par rapport au rythme habituel de règlement d’une récolte »), les trésoreries sont désormais à bout de souffle : « depuis le début de cette année, le nombre de demandes de conciliation (mandat ad hoc ou règlement amiable judiciaire) s’accroit. Nous craignons une augmentation des redressements judicaires dans les mois à venir… » avance Antony Cararon.
S’il n’existe pas de statistiques spécifiques aux exploitations viticoles à la chambre des procédures préventives du tribunal judiciaire de Bordeaux, sa magistrate, Delphine Dupuis Dominguez, assistée de sa greffière, Eve Vacant, note une augmentation des conciliations et mandats adhoc ces derniers mois. Intervenant avant la cessation de paiement, les audiences de règlement amiable agricole, de mandat adhoc et de conciliation sont un « moment charnière » plaide Delphine Dupuis Dominguez. Désignant un mandataire de justice en qualité de conciliateur, la procédure préventive permet de renégocier les créances des exploitants (banques, MSA, fournisseurs, impôts…) et d’éviter la cessation des paiements : « ça marche bien quand c’est détecté tôt. Les chiffres le montrent » pointe la magistrate, rapportant une estimation nationale de 80 % de réussite pour les procédures préventives. Du moins quand un dossier est ouvert suffisamment tôt. « Le conciliateur ne peut plus faire grand-chose quand il n’y a plus de latitude » souligne Delphine Dupuis Dominguez.
Juriste assistant à la chambre des procédures préventives, Nathanaël Girardin-Valley abonde : « le tribunal et le mandataire ne sont pas des magiciens. Ils n’ont pas le pouvoir de relancer la vente de vins. » Mais ils peuvent porter un œil juridique permettant la restructuration de l’entreprise avant qu’il ne soit trop tard. La procédure préventive « souffre de méconnaissance. 100 % de ceux qui se retrouvent en redressement judiciaire auraient pu bénéficier de la prévention dès les premiers signes de difficulté » relève Delphine Dupuis Dominguez, qui a le projet d’investir les points justice du Conseil Départemental d’Accès au Droit de la Gironde pour aller au contact des exploitants, et souhaite animer prochainement une conférence d’information générale ouverte au plus grand nombre de vignerons.
En attendant, le tribunal met à profit une procédure de détection des difficultés grâce à un partenariat avec la Mutualité Sociale Agricole (MSA) et la Direction Régionale des Finances Publiques (DRFIP) pour détecter les entreprises fragilisées et ayant de premières difficultés de recouvrement sur leurs cotisations sociales et fiscales. Encore à l’échelle expérimentale, cette procédure passe par une convocation destinée à présenter les procédures à l’exploitant potentiellement en difficulté. Informel, cet entretien est une main tendue par le tribunal aux vignerons, qui ont le choix de la saisir, ou non. « Toutes les procédures préventives sont à l’initiative de l’exploitant » pointe Nathanaël Girardin-Valley, encourageant les exploitants à changer d’idée sur la procédure préventive : « elle participe d’une gestion saine d’une entreprise, comme demander un prêt à une banque. Le but c’est de maintenir l’activité en payant ses créanciers*. La liquidation n’arrive qu’en ultime recours, seulement lorsque les autres solutions n’ont pas fonctionné. »
Un avantage de la procédure préventive est de ne pas déposséder l’exploitant de la gestion de son domaine, le mandataire l’assistant, comme le souligne Delphine Dupuis Dominguez, évoquant des possibilités de restructuration, avec le plan d’arrachage sanitaire en cours d’examen européen, ou avec de la diversification, en adoptant d’autres cultures agricoles. « L’objectif d’une procédure préventive n’est pas que de rembourser, c’est de trouver des solutions pérennes. C’est un mal nécessaire pour les entreprises » répète la juge. Et si « la procédure préventive ne marche pas, elle permet de se préparer à la procédure collective, liquidation ou redressement judiciaire. Il vaut mieux que l’exploitant soit acteur de sa procédure » conclut Nathanaël Girardin-Valley.
* : La procédure préventive ne peut pas effacer de créances, contrairement à une chambre de surendettement.