La mireuse, ce n’est plus un sujet pour nos adhérents, constate Gilles Marguet, directeur de l’UPR (Union des propriétaires récoltants) au Mesnil-sur-Oger, dans la Marne. Cela les rassure que leurs caisses soient contrôlées, ainsi que celles de leurs collègues. Quand on a présenté le projet, on leur a dit que c’était un radar qui photographiait les caisses pour apprécier la qualité des raisins ! » Et d’ajouter, avec humour, « le grand avantage de la mireuse, c’est qu’elle n’est en famille avec personne. C’est moins vrai de la personne qui prélève les échantillons en vue de mesurer la richesse en sucres des raisins ».
UPR est une coopérative de 830 adhérents exploitant 320 ha. Elle possède deux quais de réception dont un équipé d’une mireuse R & D Vision – un investissement de 200 000 € HT auxquels il faut ajouter 90 000 € d’étude préalable. Spécialisée dans la fabrication de solutions de mesure optique, cette société collabore, entre autres, avec Eurotunnel autour d’un système d’auscultation de la caténaire du tunnel sous la Manche. Pour les raisins, les enjeux ne sont pas les mêmes : l’appareil détecte la présence d’oïdium, de feuilles et de corps étrangers et mesure le chargement des caisses.
Installée depuis 2019, la mireuse n’est opérationnelle que depuis 2021. Désormais, les caisses comprenant entre 5 et 15 % d’oïdium sont vinifiées à part et celles dépassant 15 % d’oïdium sont refusées. Des seuils votés par le conseil d’administration. Au cours des dernières vendanges, elle n’a recalé que 0,5 % des caisses. Pourtant, les grappes touchées par l’oïdium n’ont pas manqué cette année en Champagne. « La mireuse a un effet psychologique : elle incite les vendangeurs à mieux trier dans les vignes ! », souligne Gilles Marguet.
Cette machine est installée sur une ligne de chargement du pressoir, dont le débit s’élève à 16 000 caisses à l’heure. « Elle répond à notre cahier des charges qui est de ne pas ralentir la ligne, poursuit Gilles Marguet. Elle écarte les caisses défectueuses. Mais, pour l’heure, un contrôleur valide toujours cette décision car elle confond encore des attaques d’oïdium avec les reflets blancs dus aux traitements au soufre. »
La mireuse repère aussi les caisses contenant plus de 5 % de feuilles ou plus de 54 kg de vendange. Dans ces deux cas, elle ne les écarte pas : leurs propriétaires sont simplement avertis. En effet, les photos des caisses problématiques étant archivées, la coopérative s’en sert pour rappeler les bonnes pratiques à ses membres.
« L’an dernier, des coopérateurs avaient trop chargé leurs caisses, témoigne Gilles Marguet. On leur a envoyé un mail avec la photo de ces caisses et tout est rapidement rentré dans l’ordre. En général, les vignerons ne sont pas surpris quand on les appelle, notamment pour des problèmes de qualité. Cela arrive le plus souvent en fin de journée, quand on est moins vigilant, que l’on veut vite terminer une parcelle ou que l’on se dit que cela passera quand même ! »
Outre l’oïdium, cette machine repère les corps étrangers en surface, le plus souvent des sécateurs. Le 6 septembre, premier jour des vendanges, elle a ainsi détecté un gros fil de fer qui aurait pu abîmer les membranes des pressoirs pneumatiques.
Seul le haut des caisses peut être visionné. L’UPR estime que cela représente 25 à 30 % de leur contenu. Avec une mireuse pour deux quais, la cave contrôle donc 10 à 15 % de ses livraisons. Pour Gilles Marguet, « c’est un échantillonnage énorme : dans l’agroalimentaire, on prélève des échantillons sur 1 à 5 % de la matière première ».
L’UPR travaille également à la détection de la pourriture grise. Cette année, un stagiaire a mesuré l’activité laccase de toutes les caisses classées comme pourries par la mireuse pour voir si les résultats concordaient. « Nous aurons la réponse en début d’année, le temps de traiter toutes les données, avance l’œnologue. Et si ça marche, nous classerons dans la même catégorie “altérés”, les raisins oïdiés ou pourris, et nous enverrons les photos aux vignerons concernés pour qu’ils sachent de quoi il retourne. »
Moët & Chandon et le Comité Champagne travaillent sur le même sujet. L’interprofession conçoit une mireuse avec l’Université de Reims Champagne-Ardenne et l’Institut Agro Dijon pour « détecter et quantifier la pourriture grise, la pourriture acide et l’oïdium, explique Marie-Laure Panon, ingénieure au Comité Champagne. Notre objectif est de fournir un outil à tous les vinificateurs ».
Ici, il s’agit d’un portique « imaginé pour pouvoir fonctionner sur les 1 900 centres de pressurage de la Champagne, complète François Berthoumieux, également ingénieur au Comité Champagne. Cet outil sera probablement installé à l’entrée des centres de pressurage et permettra d’accepter ou de refuser des caisses selon des standards de qualité définis par l’acheteur ». L’an dernier, ce portique a bien rempli son rôle de détection des raisins défectueux, mais le traitement des images était encore trop lent pour être utilisé en production. Les partenaires du projet ont planché sur ce paramètre cette année. Si les tests s’avèrent concluants, le déploiement commercial du portique pourrait débuter en 2024.
Le début des travaux sur les mireuses en Champagne date de 2018, un an après la vendange 2017 marquée par de fortes attaques de pourriture grise. Trois outils fonctionnent ou sont en cours de validation chez la coopérative UPR, à l’interprofession et chez Moët & Chandon. Ces investissements traduisent la volonté de la Champagne de progresser sur le tri de la vendange en se dotant de moyens pour juger de manière impartiale les lots défectueux.