ifficile, la campagne des primeurs 2022 touche à sa fin à Bordeaux avec la sortie des premiers grands crus en 1855. Si la qualité de ce millésime 2022 était attendue, ce sont ses prix qui ont surpris le marché. De quoi créer un décalage persistant entre les propriétés ayant réalisé le millésime de leur histoire récente, ce qu’elles voulaient marquer avec des hausses conséquentes par rapport aux précédentes sorties en primeurs, et un marché qui n’était pas prêt à absorber toutes ces hausses, alors que la situation économique mondiale reste incertaine (avec des taux d’intérêts toujours plus défavorables pour porter un stock) et que sont disponibles des millésimes très bien notés (2016, 2018, 2019, 2020). En découle un dilemme inconfortable pour les négociants, coincés entre des châteaux ambitieux dans leurs volontés de valorisation et des acheteurs plus frileux que prévu.
Interrogée par Vitisphere, la plateforme Liv-Ex indique qu’« alors que ces augmentations étaient attendues, la direction prise a suscité des interrogations ; comme l'a fait remarquer un marchand, "des augmentations de plus de 20 % ne font pas une campagne" ». Faisant sortir des acheteurs de la campagne, ces hausses n’empêchent pas des succès commerciaux, « comme la sortie à guichets fermés du château Brane-Cantenac à 60 euros la bouteille départ négociant, malgré une augmentation substantielle de 28 % par rapport au prix d'ouverture de 2021 (47 euros la bouteille) » analyse le site britannique, notant cependant qu’« il n'est toutefois pas certain que la forte demande soit due à la valeur perçue ou à la réduction du volume disponible, qui a diminué de 40 % par rapport à l'année précédente ».
« Les prix sont sans précédent, et ça dans un contexte macroéconomique compliqué » confirme Ella Lister, la fondatrice de la plateforme d’agrégation Wine Lister, ajoutant que « ces prix ont été digérés par une bonne partie de consommateurs (un peu moins par les consommateurs les plus traditionnels), surtout sur les top marques, avec un peu moins de demande sur les vins moins chers ». En témoigne la sortie ce vendredi du château Lafite Rothschild : « malgré un prix de sortie ex-négociant en hausse de 23 % par rapport à 2021, Lafite s'est très bien vendu, avec les stocks épuisés sur la Place de Bordeaux et un marchand britannique nous confiant l'avoir survendu, à en essayer d'en obtenir coûte que coûte » rapporte Nicolas Billy, analyste pour Wine Lister.


Citant d’autres succès commerciaux, comme les châteaux Brane Cantenac et Montrose la semaine passée, Ella Lister note que « l'humeur sombre qui s'était installée durant la semaine à Bordeaux et au-delà s'est quelque peu dissipée le vendredi, et même nos interlocuteurs les plus cyniques ont admis que la journée s'était bien déroulée. Avec un peu moins d'une semaine restante pour la campagne 2022, l'intérêt du négoce semble toujours présent, avec des nombreuses sorties clés, un négociant important de Bordeaux nous confiant que "la période la plus difficile et pessimiste de la campagne est passée". »
Se concluant ce jour sur la sortie du château Figeac (premier grand cru classé A de Saint-Emilion), la campagne 2022 va maintenant pouvoir être analysée dans son ensemble. Des succès aux rendez-vous manqués. Mais face à la succession de grands millésimes à Bordeaux naît désormais l’espoir d’un millésime 2023 normal : un autre millésime du siècle et personne ne saura plus où donner de la tête pour la prochaine campagne des primeurs.