a nuit, au Château Couhins, aux portes de Bordeaux, une petite lumière clignote au milieu d’une parcelle de cabernet-sauvignon. Clipsé sur un fil de palissage, à 1 m 30 du sol, ce point lumineux est la diode d’un boîtier estampillé SporeStick. Nouveau dans le paysage bordelais, il s’agit d’un capteur de spores.
Voilà maintenant trois ans que le Château Couhins, propriété de l’Inrae, teste ce dispositif dans le cadre du projet VISA, réseau de suivi de la sporée aérienne du vignoble, mené par l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et l’Inrae. L’objectif ? Établir un lien entre la quantité de spores présente dans l’air ambiant et la pression mildiou.
« Le capteur est un piège actif, explique Benoit Laurent, ingénieur à l’IFV. Deux bâtonnets semblables à des allumettes enduits de vaseline tournent à 2 400 tours/min et captent des spores aussi bien d’oïdium, de mildiou, de black-rot que de botrytis. Et c’est grâce à une analyse PCR qu’on quantifie celles de mildiou afin d’évaluer le risque épidémique. »
Deux fois par semaine, d’avril à novembre, Dominique Forget, directeur du Château Couhins, prélève ces bâtonnets et les apporte à l’Inrae de Bordeaux pour analyse. 24 heures après, il reçoit le résultat. « À la mi-mai, la concentration en spores avoisinait les 20 spores/m3 d’air, un chiffre indiquant une faible pression de mildiou, décrit-il. Fin mai, les captures indiquaient toujours moins de 20 spores/m3. Cela correspond à la situation dans la parcelle d’essai où il n’a pas de taches de mildiou. En revanche, la parcelle de merlot voisine présente des taches tous les cinq pieds. »
Pour Benoit Laurent, ce n’est pas surprenant. « Si le capteur n’est pas dans le champ de la sporée aérienne ou trop éloigné du foyer initial du mildiou, il est tout à fait possible de capturer peu de spores alors que des taches apparaissent dans une parcelle voisine », assure-t-il. Un constat cohérent aussi avec le fait que les spores de mildiou voyagent assez peu selon les données les plus récentes.
Au Château Fombrauge, à Saint-Christophe-des-Bardes, toujours dans le Bordelais, Théo Chaumet, apprenti ingénieur au domaine, a également placé un capteur SporeStick sur une parcelle isolée de merlot de 2 hectares, en plein vent pour que la capture soit optimale. « Lors du dernier prélèvement, le 24 mai, on comptait 2 080 spores/m3 d’air, alors que huit jours avant il n’y en avait que 670. On assiste à une véritable montée en puissance de la sporée, représentative de la pression épidémique de cette année », rapporte Théo Chaumet.
Ici, les échantillons sont envoyés par la poste deux fois par semaine et les résultats reçus par mail 48 heures après. « Il faut changer les batteries tous les deux-trois jours et ça prend du temps, en plus des prélèvements », regrette Théo Chaumet.
Depuis l’année dernière, Dominique Forget suit les consignes de l’IFV pour protéger sa parcelle équipée du capteur de spores. « À chaque prélèvement, on intègre nos résultats, ceux des autres capteurs situés à proximité et le risque mildiou défini par DeciTrait pour savoir si on traite ou pas, explique-t-il. L’année dernière, on a ainsi économisé deux traitements en obtenant la même protection que dans le reste de l’exploitation. Cette année, au 15avril, lorsque nous avons jugé qu’il fallait commencer la lutte sur le domaine, l’IFV nous a indiqué qu’il n’y avait pas de risque pour la parcelle test. Donc, nous ne l’avons pas traitée. Nous avons fait le premier passage le 28 avril seulement, toujours suivant les indications de l’IFV. Ensuite, nous avons appliqué la même cadence de traitement que pour le reste du vignoble. Pour le moment nous avons économisé un traitement. Et la parcelle est sans symptôme. »
Dominique Forget y voit une petite économie de fongicide, mais surtout un gain de temps pour effectuer d’autres travaux, comme le travail du sol.
Théo Chaumet s’en remet lui aussi aux consignes de l’IFV pour protéger sa parcelle test de 2 hectares. « Nous avons débuté le premier traitement autour du 18 avril sur l’ensemble du vignoble, et seulement huit jours après sur la parcelle test. Fin mai, on constate la même quantité de taches éparses de mildiou sur feuilles partout. Donc nous aurions pu tout à fait attendre fin avril pour commencer à traiter l’ensemble du domaine », avance-t-il.
À Margaux, Blandine de Rouffignac teste d’autres pièges à spores, ceux développés par la société BaaS (Biology as a Solution). Le principe est le même à quelques détails près. « Ni moteur ni batterie : ce sont des capteurs passifs, explique la responsable R&D du Château Margaux. Conformément aux recommandations de BaaS, nous avons fixé dix pièges sur un hectare, à hauteur du premier et du deuxième fils de palissage, de façon à capter les spores au niveau de l’ensemble du feuillage. »
Deux fois par semaine, Blandine de Rouffignac prélève les échantillons. « C’est assez chronophage, avoue-t-elle. La société BaaS les récupère ensuite au domaine et nous envoie le résultat le lendemain. Nous recevons un seul résultat pour l’ensemble des pièges. »
Ici, la quantité de spores piégées dans les capteurs n’est pas encore prise en compte pour définir la stratégie de traitement. « Nous sommes encore en phase d’observation, confie Blandine de Rouffignac. L’année dernière, la sporée aérienne n’était pas suffisamment importante pour valider la pertinence de cette nouvelle méthode de détection du pathogène. Nous poursuivons donc nos observations pour savoir si la quantité de spores correspond aux observations de terrain. » La pression mildiou étant bien supérieure cette année, elle permettra peut-être de valider ou de perfectionner ce nouveau système de détection précoce.
« Pour cette campagne 2023, près de 80 vignerons de Nouvelle-Aquitaine participent au projet VISA, réseau de suivi de la sporée aérienne du vignoble mené par l’Institut français de la vigne et du vin (IFV) et l’Inrae, et expérimentent nos pièges à spores, rapporte Benoit Laurent, ingénieur en charge du projet à l’IFV de Bordeaux. Nous savons que nos capteurs nécessitent des améliorations tant au niveau de leur sensibilité de détection de la sporée aérienne que de leur portée. Nous espérons pouvoir continuer l’expérimentation pendant encore trois ans afin de tester les capteurs en Occitanie et en Rhône-Alpes. » L’IFV n’a pas encore défini le coût des capteurs ni des analyses pour les viticulteurs. Mais Benoit Laurent affirme que l’objectif est de trouver un « équilibre entre performance et coût ». De son côté, la société BaaS (Biology as a Solution) commercialise déjà sa solution. Entre le matériel et le coût des analyses, il faut compter 2 000 € pour cinq mois de suivi et dix capteurs pour une parcelle.