itisphere : L’intérêt pour la mise en place de réseaux de consigne explose avec la flambée des prix de l’énergie et les tensions sur les bouteilles : est-ce que le réemploi sera éphémère si la situation revient à la normale ?
Clémence Richeux : Il y a une mise en lumière du réemploi depuis les pénuries de bouteilles et la hausse des tarifs, mais nous travaillons le sujet depuis 2017 pour répondre à d’autres enjeux. La demande est remontée de brasseurs qui trouvaient dommage de produire localement des bières consommées localement, mais dont les bouteilles sont recyclées et produites ailleurs. Il s’agit d’une problématique d’indépendance territoriale. Il y a aussi un impact environnemental fort : la production de bouteilles neuves représente un gros impact d’émission de gaz à effet de serre. Il y a également la pénurie de ressources non renouvelables. Le verre est fait à partir de silice dont les réserves se réduisent. Si le verre est recyclé, il ne représente pas 100 % des verres neufs. Pour une bouteille claire il y a 30 % de verre recyclé en moyenne, 70 % pour une bouteille sombre.
Le recyclage est pourtant présenté par les groupes verriers comme une vertu dans leur production…
Clairement, les méthodes de production du verre sont énergivores, avec des fours fonctionnant 24h/24 7j/7. Le réemploi a un effet très rapide et direct sur les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie primaire (ainsi que d’eau). Il va falloir continuer à injecter des bouteilles en verre neuf, mais en moindre quantité et de meilleure qualité pour pouvoir les réemployer. L’enjeu est de créer une filière du réemploi en cohérence avec la filière du recyclage qui existe.
Si l’origine de votre entreprise se trouve dans la bière locale, les vins sont de plus en plus vendus à l’export : ce qui limite l’intérêt de la consigne.
Nous nous concentrons d’abord sur les producteurs locaux qui vendent localement. Pour la France, il y a la création du réseau national France Consigne (réunissant dix opérateurs locaux). France Consigne a traité 1,4 million de cols en 2022 avec 400 producteurs et 750 magasins, nous visons 5 millions de bouteilles consignées en 2023. On rêve que d’ici 5 à 10 ans les bouteilles soient standardisées au niveau national. Nous réfléchissons à une alliance européenne pour standardiser les bouteilles : qu’un vin français consommé en Allemagne ait sa bouteille lavée et réutilisée en Allemagne. Il faut nous laisser un peu de temps…
Des vignerons s’inquiètent de ne plus pouvoir se distinguer de leurs concurrents s’ils ont la même bouteille…
J’adore cet argument ! Si la différenciation marketing passe par la teinte de sa bouteille, elle est faible me semble-t-il… Il faut inventer d’autres manières de communiquer : il n’y a pas que le produit et le packaging, il y a une démarche globale. Je ne parle évidemment pas des bouteilles syndicales, qui sont à part. On sait que l’on ne touchera pas 100 % des bouteilles, entre l’export, les bouteilles syndicales...
Et les vins effervescents ?
Nous n’avons pas des solutions à tout. Pour les champagnes et crémants, il y a un enjeu technique de pression. C’est à travailler. Notre objectif n’est pas de tout standardiser, mais de faciliter la capacité la démarche de consigne. Nous espérons structurer la consigne pour que ce soit de nouveau un geste habituel du consommateur : ramener sa bouteille. C’est un secteur qui bouge rapidement. Que l’on fait bouger rapidement ! Nous travaillons à la massification du réemploi.
Quelle est la différence de coût pour un vigneron ?
Aujourd’hui, laver une bouteille et la réemployer localement coûte moins cher ou un prix équivalent qu’acheter du neuf. Cela dépend des projets et des capacités de négociations avec les verriers de chacun. Alors que le prix du verre neuf ne va pas cesser d’augmenter, le réemploi permet une relative stabilité de prix. L’évolution de nos prix sera moindre (-75 % d’énergie primaire par rapport à la production d’une bouteille).