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"Il faut le dire avec une certaine gravité : parfois, le vin ne fermente plus"
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Valentin Morel
"Il faut le dire avec une certaine gravité : parfois, le vin ne fermente plus"

Valentin Morel, jeune vigneron naturel du domaine Les Pieds sur Terre dans le Jura, vient de publier Un autre Vin (éditions Flammarion), un livre qui mêle récit de son quotidien et réflexions sur un métier en prise avec la crise écologique et le changement climatique. Rencontre.
Par Julie Gallo Le 26 avril 2023
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Hybride et nature, Valentin Morel propose un autre vin dans le livre éponyme : 'Comment penser la vigne face à la crise écologique' (éditions Flammarion, mars 2023, 279p., 21€). - crédit photo : Léa Crespi
C
’est quoi “l’autre vin” évoqué dans le titre du livre ?

Valentin Morel : Pour moi, ça évoque la formule « un autre vin est possible », en lien avec l’altermondialisme. Après, plus concrètement, ce sont aussi les vins issus d’hybrides. Et une autre manière de parler du vin, par le bas.

  Vous vous êtes installé en 2014, dans le domaine familial, une reconversion pour vous. A quel moment avez-vous pris conscience que votre carrière de vigneron serait largement consacrée à l’adaptation au changement climatique ?

Ce qui m’a frappé, c’est surtout l’enchaînement de superlatifs. Les drosophiles ‘jamais vues’ en 2014. La canicule de 2015, une ‘première’, en 2016 du mildiou ‘comme jamais’, en 2017 un gel historique’. Bon, on a gelé trois fois en cinq ans. Mais c’est surtout le gel de 2021, suivi par le suicide de cinq collègues vignerons, dont un que je connaissais personnellement, qui a provoqué une grosse remise en question. Je ne dis pas que les deux sont liés à chaque fois, mais quand même… Je me suis dit ‘il va falloir trouver un moyen’. Je suis d’un naturel assez anxieux, il fallait que j’apprenne à me départir de cette angoisse du pire scénario. Et aussi de cette injonction culturelle de ‘la souffrance au travail’, très forte dans le milieu.

 

Vous avez planté des vieilles variétés hybrides dès 2017. Une large part du livre est consacrée au récit de cette expérience et à la défense de ces vignes. Quel intérêt leur trouvez-vous dans le contexte de la crise écologique ?

Je ne dis pas que c’est LA réponse, mais une des réponses. Déjà tout simplement d’un point de vue du bilan carbone et des traitements en moins. J’ai une toute petite parcelle, avec six hybrides différents, deux rangs de chaque. Il y a 12 ares de vignes plantées en 2017 et productives, et 60 ares plantés en 2022. J’espère monter jusqu’à 1,5 ha, pour que ça représente 30 % de nos vins. Ça serait une bonne sécurité, une proportion qui permet de ne pas prendre des risques insoutenables et d’avoir des récoltes même quand ça gèle. En 2021, on a eu 11 hl/ha en moyenne, contre 80 hl/ha sur la parcelle d’hybrides. C’est trop d’ailleurs, mais il faut être pragmatique.

 

Mais qu’en est-il des vins issus de ces vieux hybrides ?

Je trouve qu’ils ont été injustement considérés. Je produis du vin du Jura bio et nature, qui a un succès commercial, donc je peux prendre ce risque, c’est vrai. Mais il faut dire aussi que le vin naturel a constitué une extension du domaine du goût… et les hybrides, c’en est une autre. Les restaurateurs étoilés avec qui on travaille, ça les intéresse ! Ils sont toujours en recherche de trucs nouveaux, uniques. Ils adorent, même quand le vin sent la fraise des bois. Mais de toute façon, qui est légitime pour dire si un vin avec ces arômes, considérés comme rédhibitoires, sont bons ou pas ? Les vignerons et les sommeliers ne sont pas les meilleurs juges, à mon avis. Après, je sais que c’est un sujet complexe, mais je m’en fiche de convaincre. Je propose une réflexion, pas un combat pour défendre les hybrides.

 

De grands passages du livre se concentrent sur la description minutieuse de gestes « banals » du vigneron, le maniement d’une pioche ou d’une embouteilleuse. Pourquoi raconter ça au ‘grand public’ ?

Ça m’agace cette vision fantasmée de la vigne qu’on voit partout. Je voulais raconter le métier de vigneron concrètement. Être vigneron, ce n’est pas prendre un verre et sentir s’il y a du cassis. Je me suis inspiré d’un courant de philosophie qui fait le lien entre travail manuel et intellectuel, quelque chose résonne avec mon histoire personnelle et familiale. Derrière ces gestes, il y a de la réflexion : quand tu pètes ton pulvé, et que tu réalises que tu es dépendant du mécanicien, quand tu choisis la pioche et pas les phytos… Voltaire disait "Il y a beaucoup plus de philosophe chez un cordonnier qu’à l’Académie". Et bien je pense pareil et aussi que c’est aux vignerons de parler de leur métier, pas à quelqu’un d’autre.

 

Vous abordez aussi les problèmes de fermentation liés aux selon vous au changement climatique…

La situation est grave. On ne s’en rend pas vraiment compte, mais il y a bel et bien un impact négatif du dérèglement climatique sur la fermentation. En plus, il y a plein de causes : plus d’alcool dans les vins, moins d’acide, moins de levures… Ça rend le phénomène très compliqué à comprendre. Mais il faut le dire avec une certaine gravité : parfois, le vin ne fermente plus. Et c’est hyper traumatisant : quand on pense avoir passé les obstacles climatiques, même en cuve on peut encore avoir des problèmes !

 

Mais c’est aussi parce que vous faites le choix de produire des vins "nature"…

Je ne sais pas quoi répondre à ça. Si la réponse qu’on me donne aux questions que je soulève, c’est ‘mets du soufre, mets des levures’, c’est comme dire au gars qui veut traverser l’Atlantique à la voile de mettre un moteur : c’est qu’on n’a pas compris la démarche. En plus, nous vignerons naturels qui vivons ce problème parce qu’on travaille « sans », on alerte les autres de quelque chose qui va leur arriver. Même certains collègues en conventionnel ont déjà eu des problèmes de fermentation récemment. Je ne sais pas si c’est un sujet tabou ou pas, mais il va falloir en parler.

 

 

 

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Tous les commentaires (12)
Anglès Xavier Le 16 mai 2023 à 08:45:42
PRUDENCE ! me semble le maitre mot pour la culture des hybrides et la vinif naturelle! Mon grand père disait que les hybrides étaient des vignes pour les fainéants car les viti de l'époque ( dans les années 1930 )se rendaient 2 fois par an sur leur parelle: une fois pour tailler une fois pour récolter! c'est des vignes sans entretient me disait-il ! ! Au delà de se commentaire, je trouve tout de même intéressant que ce jeune du Jura fasse l'expérience un peu naïve de la remise en culture des hybrides. Il a l'intelligence de le faire et de donner son avis sans être un "ayatollah", et laisse la part pour chacun d'entre nous d'interpréter ses résultats afin de nous faire une opinion! Et puis, heureusement que des courageux avec une dose d'inconscience sont là pour faire avancer le "schmilblick" sans quoi nous serions encore dans certain vignoble comme le mien à attendre des cépages que seul des précurseurs ont eu l'idée de génie de faire migrer plus au sud et finalement accepté par la profession.... Mais prudence avec les hybrides, c'est pas nouveau, ( on connait les inconvénients ) c'est pas quali, et économiquement loin d'être viable pour une exploit viticole... Ne perdons pas le bons sens ni le bon goût, cela peut être une piste à explorer et comme toute exploration il faut avoir conscience qu'il n'y a pas forcement de trésor au bout! X. Anglès
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levotomo Le 02 mai 2023 à 17:30:19
Si vous voulez en savoir un peu plus sur le sujet des vins "nature" , un livre récent aux éditions "Libre et Solidaire" : "Vins bio et sans sulfites, mythe ou réalité ?"
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Dany Le 29 avril 2023 à 17:03:51
Je cultive 1 ha d hybrides âgés 70 ans. Aucun traitement car très résistants aux maladies. 95% vendus en cave coopérative et 5% pour ma conso personnelle en jus de raisin et vin. Pour le vin réalisé sans ajout ( ferment, sulfites), et en respectant les conditions d hygiene et les regles des 2 fermentations , nous confirmons que ce vin naturel est bon et fruité et se conserve jus qu a 4 ans . Il y a seulement des variations de goût et degré chaque année .c est ce qui poserait problème pour une commercialisation standardisée.
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Céline Le 27 avril 2023 à 21:33:04
Merci pour ce travail de verbalisation. Bravo, Céline, vigneronne nature en questionnement sur tous ces changements...
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Lilo Le 27 avril 2023 à 14:19:45
Il faut goûter les vins de ce vigneron avant de juger à la va-vite. Il y a des précurseurs de vins nature dans le Jura bien loin de faire des vinaigres. Il y a même là de grands vins sans intrant. Ne pas, soi-même, savoir faire sans pesticide, sans intrant (levures, soufre) ne signifie pas que c'est impossible. Poser les bases d'une réflexion comme le fait Valentin, n'est pas imposer une vision. Je n'entends rien de macho, de malveillant, ni d'arrogant dans ses mots. J'entends plutôt une démarche d'expérimentation, essayer, voir, goûter avec la conscience que tout est si fragile et continuer d'avancer. Quant à ses vins et notamment ses vins issus d'hybrides, ils sont fondus et d'une belle complexité. Sachons parfois être un peu plus subtiles et nous ouvrir à d'autres démarches sans se laisser dominer par tant de préjugés.
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Ratos Le 27 avril 2023 à 11:56:42
Je reste un peu sceptique de se déclarer vins nature et d'utiliser des cepages hybrides. Le débat est ouvert
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pg Le 27 avril 2023 à 08:00:58
Il est comique de constater qu' a chaque nouvelle génération on redécouvre que le vin ne fermente pas toujours comme on voudrait qu'il fermente... Depuis que l' homme tente de maitriser l' art de faire du vin, le même constat. Et ça continue... C' est au moins la preuve que l' humain, bien qu'il accumule le savoir des générations antérieures , est capable de remettre en question ce qu'on lui inculque. Je vois de là mon ?nologue préféré lever les yeux au ciel... Je renvoie aux critiques de J. Dupont du Point sur ce qu'il y a à penser des vins dits "naturels" et autres sans soufre. Pour ce qui est de la philosophie de rechercher l' originalité, je n' y voit pas d' inconvénient , bien au contraire. Après , le client est roi. S'il y a une clientèle pour les vins d' HPD et que notre jeune vigneron s' éclate ... Pour ma part, je constate que les cépages marginaux n' ont souvent de raison d' être qu' assemblés. Vinifiés seuls, vous aurez beau passer un temps fou et tout le savoir faire du monde , vous n' en tirerez jamais un vin d' exception. Ou , alors , il faut leur rajouter un petit chouilla d' un autre cépage...Si nos "supers" cépages sont supers , ce n' est pas pour rien ... là , encore , c' est le client qui juge. Considérer qu'il existe une lassitude quant aux cépages mondialisés , il suffirait sans doute de mettre en avant le vigneron qui a fait le vin . Le terroir , à la rigueur. Pourquoi ne pas taire le cépage ? En Bourgogne , on fait du Bourgogne , pas du pinot noir. A Bordeaux , on fait du bordeaux , pas du merlot , du cabernet , etc... Qu' est ce qui est le plus important dans l' élaboration d' un vin ? Le cépage , le terroir ou le bonhomme qui l' a fait ? Après 30 ans de métier , je me demande si ce n' est pas le bonhomme ....?
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MG Le 26 avril 2023 à 17:04:45
Je comprends pas certains commentaires. OK la démarche prête à critique et moi le premier, j'en ai certaines a formuler ne serait-ce que dans le cas des HPD mais dire qu'il est "macho" c'est un jugement injurieux et niaiseux du catéchisme de France Info.
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Bibi Le 26 avril 2023 à 13:42:24
Son analyse n'est pas fausse... mais égocentrique car basée sur ces 5 ' potes '. On sait bien que les écoles forment 3 fois plus de personnes que de places, qu'ubu roi n'a fait que du vent pour les francaises et francais, que les clients sont tres exigeants mais parfois sans argent ou veulent fu bio... sans mettre le prix... Tout vigneron qui ne pense qu'à ses potes, en bel egoiste macho... n'a pas à espérer une larme dds fes femmes à son décès....
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val1041 Le 26 avril 2023 à 09:37:43
je tenais a rappeler qu'un vin nature .... c'est un vinaigre... la démarche naturel veut que le mout de raisin devienne du vin par fermentation, puis du vinaigre.....donc si l'on ne fait rien (ni filtration, ni SO2 ou autre conservateur) on se dirige généralement tout droit vers la catastrophe... donc oui le vin "sans" c'est possible mais ultra risqué et avec bcp d'accidents de parcours.... je précise que je suis dans le vin également.... de plus je suis assez d'accord avec le commentaire de medocon.... on adore adorer ce qu'on bruler il n'y a pas si lgt.... je m'attèle a faire du mieux possible avec le moins d'intrant possible mais en amenant au consommateur un vin franc, marchand, et exempt de défauts... la qualité étant une notion très subjective....
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Medocon Le 26 avril 2023 à 08:05:59
Pasteur sur la demande de Napoléon III, qui en avait assez de boire des vins altéré par toutes sorte de chtouilles, à inventé l??nologie moderne . Nous nous aimons brûler ce que nous avons adoré et adorer ce que nous avons brûlé.
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Rico del prado Le 26 avril 2023 à 07:36:23
La démarche est louable mais laissez faire la nature sans l aide de l homme cela donne des vins plus compliqués. Chaque histoire de vignerons est son histoire...
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