’arrachage sera sanitaire ou ne sera pas. C’était l’un des points attendus de cette assemblée générale du conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) du 17 avril : l’approbation du plan d’arrachage travaillé depuis des mois par l’interprofession, au premier rang desquels Bernard Farges et Stéphane Héraud n’ont pas ménagé leur peine, en collaboration avec le ministère de l’agriculture et les services de l’Etat. Entre interprofession, état et région Nouvelle-Aquitaine, « 57 millions € seront mobilisés pour l’arrachage sanitaire de 9500 ha de vignes primées à 6000 €/ha, auxquels pourraient s’ajouter 2000€/ha de la part de la région et Alliance Forêt Bois », résume le président du CIVB Allan Sichel à l’occasion de son rapport moral.
« Depuis notre assemblée générale de décembre dernier, nous explorions plusieurs pistes de financement, dont la plupart se sont avérées sans issue réglementaire », poursuit-il. C’est finalement dans la dernière modification de la PAC, en fin d’année 2022, que les têtes pensantes du CIVB, la DRAAF et la DDTM, ont trouvé leur salut. « En rendant possible l’intervention des interprofessions dans le domaine phytosanitaire, cette adaptation réglementaire permet au CIVB de s’engager dans un plan préventif de lutte contre la flavescence dorée », poursuit Allan Sichel. Si la finalité de l’opération reste une limitation structurelle de la capacité de production du vignoble bordelais, c’est bien sous la forme d’une opération d’arrachage sanitaire préventive que la mariée est présentée.
« C’est la seule voie qui nous permette de mettre en route ce dispositif d’arrachage. La flavescence dorée est une problématique girondine sur laquelle nous sommes déjà engagés, mais la crise va ajouter de nouvelles surfaces aux 2000 ha de vignes en friches recensées il y a deux ans. Cet arrachage se présente donc comme une limitation préventive de futurs foyers de flavescence dans des vignes qui ne seront plus entretenues », déroule le vice-président du CIVB Bernard Farges. Ce cadre sanitaire limite néanmoins assez strictement les critères d’éligibilité des parcelles à ce plan d’arrachage. « Cela ne concerne que les vignes qui n’auront pas produit en 2023, ou ayant produit en 2023 en attente d’être arrachées, mais exclut les vignes qui n’avaient déjà pas produit en 2022, sauf cas de force majeure : grêle ou autre aléa imprévisible », détaille Bernard Farges.
Aux côtés des 38 M€ apportés par l’Etat dans ce plan d’arrachage, qui permettront de financer à 6000€/ha l’arrachage de 6300 ha de vignes, l’interprofession bordelaise mouille elle aussi la chemise en apportant 19 M€, soit 3200 ha supplémentaires financés à même hauteur. « 5 M€ seront supportés par nos fonds propres et les 14 M€ seront apportés par la contraction d’un emprunt sur lequel nous espérons que l’Etat se porte garant », valide le directeur général du CIVB Fabien Bova. A ces 57 M€ pour 9500 ha, Allan Sichel et Bernard Farges ajoutent que la région Nouvelle-Aquitaine pourra abonder 10 M€ supplémentaires, par mobilisation du fonds FEADER. « Si les 57 M€ financent le passage des vignes concernées en terrain nu, sans pouvoir replanter ensuite, cette enveloppe régionale est consacrée à la reconversion des terres après arrachage », explique Allan Sichel.
Ce supplément régional ne pourra donc être mobilisé en sus que sur les 3200 ha financés par les CIVB, dans une perspective d’orientation de la production de ces terres vers autre chose que du vin, dans le cadre d’une aide de 30 à 50% de l’investissement nécessaire à la diversification. Jusqu’à 2000€/ha supplémentaires pourraient être obtenus par cette voie. « Quelques détails de mise en œuvre restent encore à caler avec la commission européenne dans les jours qui viennent mais nous espérons pouvoir ouvrir l’appel à candidatures avant la fin mai », encourage Bernard Farges. Une mise en route dès la fin des vendanges 2023 est également espérée. Pour toutes les autres parcelles de vignes déjà en friche, plus de 2000 ha pour l’ensemble de la Gironde, un dispositif de reboisement est envisagé. L’entreprise Alliance Forêt Bois arracherait, installerait et entretiendrait une forêt sur la parcelle, grâce au financement du label bas carbone. Le bénéficiaire récupèrerait le bois produit pendant une durée de 25 à 30 ans.
Durant l’assemblée générale, les représentants de la confédération paysanne Dominbique Técher et du collectif Viti 33 Olivier Metzinger n’ont pas manqué de souligner que les difficultés du vignoble girondin s’étendent bien au-delà de 9500 ha. Si Allan Sichel évoque une logique de « 1er arrivé, 1er servi » pour l’attribution de ces primes d’arrachage, Bernard Farges tempère en évoquant « d’indispensables critères d’éligibilité pour pouvoir arbitrer, au 1er rang desquels la fin de carrière sera privilégiée, au même titre que les critères sanitaires vis-à-vis de la flavescence dorée, ou la non-éligibilité de parcelles situées en zones urbanisables ». Une porte est néanmoins laissée ouverte à des échanges de parcelles entre vignerons qui souhaitent arrêter et ceux désirant maintenir leur activité. « Si nous pouvons préserver les meilleurs terroirs, ces échanges seront encouragés pour ne sacrifier que les parcelles les moins qualitatives », défend le vice-président du CIVB.
Si quelques incertitudes persistent, les dirigeants du CIVB se sont attelés à aborder de manière aussi claire que possible « un plan d’arrachage sanitaire qui n’existe pas ailleurs ». La mesure de distillation nationale, encore en discussion dans ses modalités de mise en œuvre, concernera forcément elle aussi les stocks de vins trop importants du bassin bordelais. « C’est une mesure nationale, demandée par d’autres vignobles, l’occasion de rappeler que Bordeaux n’est pas seul à souffrir », rappelle Allan Sichel.