ans les affaires civiles, tout se passe habituellement par écrit, par échange de « conclusions » entre les diverses parties. Mais pour la plainte pour diffamation du vigneron Sébastien Riffault (Sancerre) à l’encontre de la vigneronne Isabelle Perraud (Beaujolais) concernant des publications sur les réseaux sociaux d’accusation de Violences Sexistes et Sexuelles (VSS), la juge Pascale Ballerat du Tribunal des affaires civiles de Bourges a accepté, en audience ce jeudi 6 juin, d’entendre des témoins. Deux professionnelles du vin venues de Suède et du Danemark spécialement pour cette audience à la demande d’Isabelle Perraud, ainsi que Jurate Peceliunaite, conjointe de Sébastien Riffault.


La première à témoigner, Lisa Dunbar, est Danoise et se présente comme étudiante, professionnelle de la restauration et « lanceuse d’alerte ». Elle a écrit le premier texte à l’origine de toute l’affaire, en janvier 2022, dans une revue danoise. « Le 12 janvier, j’ai commencé mon enquête sur les problèmes dans la restauration danoise. J’ai commencé à recevoir des témoignages avec un schéma régulier. Un, puis deux, puis six, et toujours la même histoire. C’était au sujet de Sébastien Riffault, et comment ces femmes avaient eu l’expérience de différentes sortes d’agressions sexuelles », a expliqué la jeune femme devant le juge. Dans la foulée, le média indépendant danois Friehedsbrevet avait publié à son tour une enquête très détaillée.
« Tout de suite après mon texte, l’importateur de Sébastien Riffault, Rosforth & Rosforth, a cessé la commercialisation des vins de Sébastien Riffault. » Plusieurs restaurants danois, dont le fameux Noma, ont eux aussi arrêté de travailler avec les vins de Sébastien Riffault. Ce n’est, a expliqué Lisa Dunbar, que plusieurs semaines plus tard qu’elle est entrée en contact avec Isabelle Perraud.
« Et où sont tous les témoignages que vous mentionnez ? Il faut vous croire sur parole ? », a interrogé maître Eugène Bangoura, avocat de Sébastien Riffault. « Je n’ai pas mis de nom pour protéger les victimes, qui m’ont confié leur histoire, de ce genre de procès en diffamation », a répondu la jeune femme, sans ciller.
Le deuxième témoignage entendu est celui de Lua Morena Jernhed Macedo Costa, sommelière à Malmö, en Suède. « Avec mes deux anciennes associées, nous sommes allées rendre visite à Sébastien Riffault, dans son domaine, en avril 2019. Après avoir passé la journée avec lui, il nous a proposé de passer la nuit chez lui. On a bu beaucoup de vin. J’étais assise à côté de lui et à un moment, j’ai senti sa main entre la chaise et mes fesses. Je me suis sentie mal, mais je ne pouvais pas partir. » De retour en Suède, la jeune femme a expliqué avoir voulu convaincre ses associées de ne plus travailler avec les vins de M. Riffault, sans succès.
Elle l’a même recroisé lors d’une dégustation professionnelle à Malmö. « Vous lui avez écrit un e-mail dans lequel vous dites que vous êtes ‘ravie de le revoir’, vous l’appelez ‘notre ami’ », a souligné maître Eugène Bangoura. « Je pensais que ça faisait partie de mon travail. Avant tout ça, il avait toujours été gentil dans ses mails. Pour moi, c’était professionnel. »
Questionnée sur l’absence de plainte déposée, Lua Morena a expliqué : « J’ai pensé que si j’allais voir la police pour dire qu’un homme avait touché mes fesses, ils ne prendraient pas ma plainte. J’avais peur. Et j’habitais en Suède et Riffault en France, je ne savais pas comment faire. »


« Mais c’est encore possible de porter plainte », a souligné la juge, invitant à plusieurs reprises les femmes à porter plainte en cas d’agression sexuelle, « pour éviter d’en arriver à ce genre de situation ».
« J'étais là et c'est impossible que Sébastien Riffault lui ait mis les mains aux fesses et que je ne l'aie pas vu », a ensuite contredit Jurate Peceliunaite. Avant d’être interrompue par la juge, lorsque celle-ci a découvert qu’il s’agissait de la conjointe de Sébastien Riffault, et donc d’un témoignage « non objectif ». Au grand dam de maître Eugène Bangoura, qui s’est emporté.
D’autres éléments ont été évoqués pendant l’audience, notamment une série de mails menaçants envoyés aux deux témoins d’Isabelle Perraud, et signés de journalistes dont l’identité a été usurpée. Les vraies journalistes en question ont d’ailleurs porté plainte, à Paris et en Belgique. Maître Thibault de Saulce Latour, l’avocat d’Isabelle Perraud, a produit le mail d’un officier de police parisien, écrivant avoir identifié l’auteur d’un des mails, en la personne de Jurate Peceliunaite. Mais l’enquête est encore en cours.
L’essentiel du dossier n’a pas été présenté lors de l’audience, la magistrate prévenant : « je ne sais pas encore si ces témoignages seront recevables ». Ni Isabelle Perraud ni Sébastien Riffault n’ont été entendus. Dans le public, plusieurs vignerons et autres professionnels du monde du vin avaient fait le déplacement pour soutenir Sébastien Riffault ou, légèrement plus nombreux, Isabelle Perraud. Ces derniers étaient reconnaissables à l’exemplaire fièrement arboré du journal Libération, qui publiait une enquête accablante sur Sébastien Riffault le jour même.


En conclusion, maître Eugène Bangoura a insisté sur « l’absence de plaintes, et l’absence de témoignages. Où est la preuve ? », a-t-il interrogé, avant d’interrompre avec fracas sa propre intervention, à la suite d’une remarque du juge, visiblement agacée par la durée de la « plaidoirie ».
Maître Thibault de Saulce Latour a quant à lui mis en avant la « bonne foi » d’Isabelle Perraud, ainsi que l’absence d’animosité personnelle à l’égard de Sébastien Riffault. « Le but n’est pas un lynchage contre M. Riffault, mais que la parole des femmes se libère ».
Le délibéré est attendu le jeudi 8 juin.