epuis six ans, les organisateurs du salon allemand Prowein – qui aura lieu du 19 au 21 mars à Düsseldorf – font appel au docteur Simone Loose et son équipe à la prestigieuse université de Geisenheim en Allemagne pour sonder le ressenti au sein de la filière vitivinicole mondiale et esquisser des perspectives pour l’année à venir. « Cette étude est unique, car elle sonde à la fois l’amont et l’aval de la filière », a expliqué en préambule le Dr Loose, responsable de l’Institut du commerce des vins et des boissons au sein de l’université.
En novembre 2022, ce sont près de 2 500 professionnels et experts dans 47 pays qui ont été interrogés. Si l’année avait débuté avec des perspectives plutôt positives, le secteur espérant une reprise suite au Covid, la situation n’aura pas été à la hauteur de ses attentes, entraînant un sentiment particulièrement précautionneux fin 2022. Chaque rapport s’accompagne certes de son lot de nouveaux défis pour la filière, mais il n’y a aucun doute que 2022 était particulièrement tendu. Les augmentations de coûts, les perturbations de la chaîne logistique et le ralentissement économique figurent dans le peloton de tête des challenges, tandis que des préoccupations antérieures comme le changement climatique et le Covid ont été relégués à l’arrière-plan, pour le moment du moins.
La montée en flèche des coûts (énergie, verre, papier etc) a été classée en tête des facteurs qui risquent d’impacter la filière le plus, avec 85 % des répondants de cet avis. Suivent les problèmes causés par la chaîne logistique (66 %) et la crise économique (55 %). Si les coûts énergétiques touchent les deux tiers des producteurs de vins de manière importante ou très importante, au moins les perspectives de coupure de courant s’éloignent. Pour compenser ces hausses de coûts, près de 70% des opérateurs augmentent le prix de leurs produits, en amont (72 %) comme en aval (64 %), tandis que 59 % d’entre eux adaptent leurs processus pour économiser de l’énergie et 41 % investissent dans les énergies renouvelables ; seuls 11 % arrêtent la production de certains produits.
Pour ce qui est de la logistique, sans surprise, ce sont 79 % des répondants qui ont rencontré des problèmes à ce niveau, pourcentage qui monte à 88 % pour la disponibilité des matériaux. Ce sont surtout les coûts (81 %) et les délais (70 %) qui posent problème en matière de transport, grignotant les marges pour 59 % d’entre eux. Près de 30 % des opérateurs interrogés ont affirmé qu’ils ont perdu des ventes à cause du coût exorbitant du transport, passant à 21 % pour cause de délais rallongés. Quant aux matières sèches, ce sont les bouteilles en verre qui ont représenté le principal casse-tête au sein de la production, et de très loin (92 %), suivies des cartons (59 %), des obturateurs (49 %), des pièces détachées pour les équipements (38 %) et des étiquettes (38 %).
Quelles ont été les stratégies mises en œuvre pour tenter de surmonter ces difficultés ? Le stockage (63 %), l’adaptation de la production et des délais de livraison (51 %), la modification des modèles utilisés (47 %) et l’orientation vers d’autres fournisseurs (39 %) ; 19 % des opérateurs ont consenti des prix plus élevés pour assurer leurs approvisionnements. Par conséquent, il a fallu dégager plus de temps pour réaliser ces tâches et immobiliser plus d’argent pour financer les stocks, problème qui s’est aggravé avec l’augmentation des taux d’intérêt. Près d’un quart des répondants détiennent des stocks plus importants de vins non vendus et un pourcentage similaire a perdu des contrats ou des clients. Et la situation n’est pas près de s’améliorer, si l’on en croit le rapport : 31% des répondants estiment qu’il faudra attendre 2024, tandis que 23% pensent que cela n’arrivera pas dans un avenir proche ; seules 27% des entreprises prévoient une amélioration en 2023.
Dernière grosse inquiétude : la réaction des consommateurs face à la crise économique. Pour une grande majorité des opérateurs, les consommateurs vont continuer à boire du vin, mais moins ou des vins moins chers. Ils estiment que le cœur de gamme sera donc le plus touché, tandis que l’offre premium ou de luxe pourrait être épargnée. Enfin, les résultats montrent à quel point le secteur du vin est résilient face à des situations de crise : seules 36 % des entreprises entendent stopper ou réduire leurs investissements. Il faut d’ailleurs noter que si les deux tiers d’entre elles ont vu leurs profits baisser, les marges restent positives, seul un faible pourcentage s’estimant en réel danger. Dans le même temps, la majorité d’entre elles envisagent de mettre en place des stratégies proactives : réduire les coûts, partir à la recherche de nouveaux marchés (export), adapter le portefeuille de produits aux tendances du marché, se focaliser sur le marché local et les marques fortes, et innover.